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Transformer la violence des élèves

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Daniel Favre, mis en ligne le 24 mars 2013.

L’auteur de Transformer la violence des élèves : Cerveau, Motivations et Apprentissage, paru aux éditions Dunod en 2007, interviewé par Brigitte CICCHINI, journaliste, explique sa démarche transdisciplinaire et le sens de ses recherches commencées en 1994 sur les liens entre l’échec scolaire et la violence scolaire.

Face à la violence, comment former les enseignants ?

Brigitte CICCHINI : Dans quel contexte ce livre est-il né ?

Daniel FAVRE : Ce sont les réactions de mes étudiants, d’enseignants ou de formateurs que j’avais en formation ou celles des différents publics que je rencontrais lors de mes conférences, qui m’ont amené à penser qu’il y aurait un intérêt (et donc un besoin à combler) pour un livre qui associerait des connaissances précises sur le cerveau, une approche psychologique de la violence, et les dimensions pédagogique et éducative du métier d’enseignant. Sachant que la mission d’éducation est maintenant centrale dans le métier d’enseignant, et intervenant depuis 1983 dans la formation des enseignants, j’étais bien placé pour repérer les compétences que ceux-ci devaient développer pour résoudre les problèmes que peuvent poser une trentaine de jeunes non spécialement motivés par le contenu du cours ou de la leçon. Si j’ai autant tardé pour rédiger ce livre, c’est parce que je voulais valider par des recherches expérimentales les grilles de lecture qu’il contient (trois systèmes de motivation, pensée dogmatique / pensée non dogmatique, empathie / contagion émotionnelle / coupure par rapport aux émotions, la violence comme une addiction…) : plus de douze ans furent nécessaires…

BC : Quel angle d’approche adoptez-vous face à la violence des élèves en milieu scolaire ?

DF : La violence apparaît comme un phénomène dont la complexité ne fait plus de doute… pour les chercheurs. Les solutions pour la réduire ou la prévenir ne peuvent donc pas être simples, ni isolées mais doivent concerner les différentes dimensions de la vie de l’élève.

Ainsi, je n’approuve pas la mesure qui a abouti à la création des « heures de vie de classe », si les autres heures de la vie en classe doivent sur le fond demeurer inchangées. Si les situations qui risquent de provoquer un affaiblissement de l’élève sont maintenues, il existe le risque que celui-ci devienne affaiblissant à son tour, et que s’installe le besoin d’affaiblir pour se sentir fort, autrement dit la violence, comme je tente de le montrer dans ce livre. Parmi les mesures que je propose, le rapprochement de la didactique (le questionnement pour rendre les contenus d’enseignement assimilables par les élèves) et de la socialisation (l’éducation d’un citoyen autonome et responsable) me paraît indispensable. Cela implique de revoir en profondeur la formation des enseignants qui reste très marquée par le découpage en disciplines et le morcellement des apports.

Une logique d’inclusion

BC : Le rapport Thélot, fruit des travaux de la base de la communauté éducative, cernait-il déjà toutes les composantes du problème ?

DF : De nombreux rapports ont fait évoluer la représentation du métier d’enseignant en définissant de plus en plus ses différentes dimensions. Le rapport Thélot va plus loin que les autres en désignant un objectif : permettre à tous les élèves de réussir, c’est-à-dire de développer une qualification reconnue socialement. La logique d’inclusion, qui s’oppose à la logique d’exclusion, est ici dominante. C’est un choix de société qui est sous-entendu car la logique d’inclusion s’inscrit dans la représentation d’une société solidaire, une société qui a besoin de chacun de ses membres et où chaque individu trouve sa place.

En même temps la question : de quels types d’humains et de citoyens, pour quelle sorte de société, voulons-nous qu’Å“uvre l’École ? n’a pas été posée lors du « Grand débat » national qui a précédé ce rapport. Donc l’École et les enseignants n’ont pas encore choisi explicitement entre la logique d’exclusion, qui implique de trier et de sélectionner, et la logique d’inclusion (« chaque élève est important » comme il est dit en Finlande).

Ces deux logiques sont nécessaires mais laquelle doit-on subordonner à l’autre ? J’ai pu vérifier que c’est le choix conscient de donner la priorité à un système de valeurs qui permet à l’enseignant de s’engager dans la voie du changement de ses pratiques et bien souvent de sortir de l’inhibition de l’action. Il reste donc la question de fond : faut-il adapter ou désadapter l’École aux valeurs actuelles de la société marchande ? elle n’est collectivement pas tranchée.

Violences et valeurs

BC : Quelles modifications faudrait-il apporter à la formation des enseignants pour résoudre ces problèmes de violence ?

DF : Cette question fait l’objet de la troisième partie de mon livre. Elle consiste à apporter des réponses pratiques (conceptuelles et concrètes sous formes d’exercices) aux six questions ou problèmes suivants :

  • Comment le langage intervient-il dans la genèse et la régulation de la violence et dans l’ouverture de la pensée au nouveau ?
    - Comment faire évoluer les pratiques d’évaluation et les dispositifs pédagogiques pour qu’ils ne contribuent pas à affaiblir l’élève ? (l’élève affaibli pouvant comme je l’ai dit devenir affaiblissant.
  • Comment enseigner à des élèves qui ne ressemblent pas à l’élève que nous avons été ?
  • Comment prendre en compte les peurs sociales qui alimentent les processus de violence et mieux distinguer l’autorité qui rend dépendant et affaiblit l’élève de l’autorité qui l’aide à développer son autonomie ?
  • Comment éduquer et former pour parvenir à s’affirmer sans affaiblir et à confirmer affectivement l’existence des autres ?
  • Comment faire évoluer les pratiques d’enseignement pour que l’élève puisse simultanément se socialiser et acquérir des savoirs ?

BC : Quelles valeurs développer auprès des élèves face aux valeurs compétitives de la société ?

DF : Six points-clés pouvant faire l’objet de formation vont s’efforcer de répondre à ces questions.

  • 1 - Le développement d’une « sensibilité épistémologique », pour que les enseignants puis leurs élèves parviennent à percevoir les modifications, depuis la pensée dogmatique vers la pensée ouverte, lorsque l’individu accepte de se laisser déstabiliser par la nouveauté dans les apprentissages et par autrui quand il diffère de soi.
  • 2 - Le travail sur la relation à l’erreur, visant à décontaminer l’erreur de la faute en la faisant sortir du registre moral, pour éviter de démotiver les élèves dans leurs apprentissages.
  • 3 - L’établissement d’une relation d’autorité, décontaminée de la domination-soumission, et qui contribue à l’affermissement d’autrui.
  • 4 - L’éducation à l’affirmation de soi non-violente, à l’empathie et au renoncement à la manipulation. Un effet attendu de cette éducation est le développement du « langage intérieur », celui-ci permettant de remplacer les automatismes par la régulation consciente des comportements.
  • 5 - L’utilisation de dispositifs d’apprentissage susceptibles de favoriser de façon synergique la transmission des savoirs et le développement des savoir-faire démocratiques. Il s’agira ici de rapprocher la didactique et la socialisation des élèves, ce qui demande de savoir gérer de manière non-violente les conflits et les frustrations, inévitables et nécessaires dans une société.
  • 6 - La nécessité d’un changement de valeurs pour permettre à un sujet potentiel d’émerger et pour renoncer à l’affaiblir par la violence ou la manipulation. La prévention de la violence débouche donc sur l’identification des valeurs qui favorisent cette prévention et nécessite de les distinguer de celles qui s’y opposent.

CB : Y a-t-il des exemples, ailleurs, qui, dans le cadre d’une nouvelle approche fonctionnent bien ?

DF : Je ne connais pas de lieu en dehors de ceux mentionnés pour la recherche présentés dans la 2ème partie de mon livre où l’on appliquerait complètement cette formation d’enseignant. C’était important me semble-t-il, de « prouver » que des enseignants formés autrement ont un impact mesurable sur la prévention de la violence allant à l’école primaire, en 18 mois, jusqu’à 80% de la capacité d’empathie des élèves, alors que spontanément au cours de du temps elle a tendance à baisser.

Mais je ne suis pas sûr que faute d’une masse critique d’enseignants formés et d’un établissement qui inscrirait de manière durable cette nouvelle culture dans son projet, les enseignants concernés par la recherche aient pu former les nouveaux.

En revanche, les résultats excellents obtenus par les jeunes finlandais aux évaluations internationales (PISA) ont attiré mon attention d’autant plus que dans ce pays, les enseignants ayant renoncé aux contrôles, illustrent ce que serait un dispositif d’apprentissage qui ne communique pas la peur de se tromper aux élèves.

BC : Les enseignants qui ont été formés à cette nouvelle approche, se sentent-ils mieux armés ? Ont-ils évolué dans leur façon de faire face à ce problème sur le terrain ?

DF : Au niveau personnel et dans la mesure où j’ai continué à avoir de leurs nouvelles directement ou indirectement, les enseignants formés ont tiré des bénéfices de cette formation et des suivis individuels sur deux ans que comportait leur formation (environ 36 heures / an). Outre leurs témoignages que j’ai mentionnés sans sélection particulière dans mon livre, le premier bénéfice est peut-être d’avoir fait le choix de se positionner au plus près de leurs valeurs intimement ressenties, car quand l’écart se réduit entre nos valeurs et nos comportements , nous nous se sentons mieux et plus fort.

D’une manière générale, beaucoup d’entre eux ont accepté d’avoir moins de contrôle sur leurs élèves et partagent davantage avec eux la responsabilité de la réussite aux apprentissages, ce qui contribue à les rendre moins vulnérables et moins dépendants des comportements des élèves

Le contrôle de la colère

BC : Qu’est-ce que le GACC ?

DF : nous savons que certains élèves mobilisent particulièrement l’attentiNn des enseignants et contribuent à dégrader le climat de la classe. cela même quand les enseignants correctement formés ne rentrent pas dans leur jeu et n’aggravent pas la situation. Ces élèves troublent les régulations nécessaires au fonctionnement de la classe et de son objectif : l’apprentissage. Ils rendent désagréable et épuisant le travail de l’enseignant, contrain à accorder beaucoup d’attention à ces élèves au détriment de tous les autres.

Les élèves en question se révèlent comme incapables de se contrôler et de respecter durablement les règles de fonctionnement de l’établissement scolaire. Les inscrire dans le Groupe d’apprentissage du contrôle de la colère (GACC) de l’établissement sera présenté comme une « sanction » et non comme une punition ou un règlement de compte. L’enseignant qui établira la sanction doit veiller à ce que l’élève la considère bien comme telle, qu’il comprenne que son comportement et sa perte de contrôle sur ce comportement empêchent la classe de fonctionner. L’enseignant est responsable de la réussite des apprentissages dans la classe. Aller au GACC pendant le temps de classe est pour le jeune l’occasion de reprendre sa place dans le groupe dont il s’est exclu en se mettant « hors la loi ». C’est cela la sanction, bien différente de la réaction d’un enseignant qui se venge d’un élève qu’il n’a pu soumettre à sa loi. Généralement, il revient en classe quand il a appris à mieux gérer ses frustrations et/ou à accepter les interdits et les règles collectives comme le montrent les exemples que je décris après que l’établissement scolaire ait installé un GACC.

BC : Cet ouvrage et l’étude sur laquelle il se fonde ont-ils des chances d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la formation des enseignants, très critiquée aujourd’hui sur ces points ?

DF : L’époque actuelle me semble favorable, puisque on ne va plus pouvoir faire comme avant.

D’un côté, les IUFM vont être intégrés dans les universités, dont le cahier des charges de formation des enseignants se focalise sur le développement de compétences intégrant la lutte contre la violence et l’échec scolaire ; le passage même au système LMD (licence-master-doctorat) accentue l’importance donnée à ces compétences et à leur évaluation, ce qui multiplient les missions des enseignants (éducation à la santé, à l’environnement, à la citoyenneté…).

D’un autre côté, les modes de fonctionnement fondés sur le découpage disciplinaire atteignant leurs limites par le morcellement des contenus et la perte de sens qu’il produit, les enseignants stagiaires (comme les autres d’ailleurs) se plaignent régulièrement de ne pas posséder les outils leur permettant d’affronter et résoudre les problèmes que l’exercice de leur métier soulève au quotidien. Et si c’était vrai !.

Cette crise, ce passage d’une façon de concevoir la formation des enseignants à une autre, implique un changement de culture et de système de valeurs. Les repères et les grilles de lecture de mon livre pourraient rendre ce passage moins périlleux et moins douloureux que si dans le proche avenir on laisse tout se bloquer.

Cerveau, Motivations et Apprentissage

BC : Comment avez-vous construit cet ouvrage ?

DF : L’organisation de ce livre constitue une réponse à la question suivante :

Comment l’explorateur né, équipé pour apprendre toute sa vie, que constitue tout être humain au début de sa vie, peut-il devenir dépendant des stimulations que procure la violence et rechercher dans la domination ou la soumission ce qu’il ne peut trouver à travers les apprentissages ou la rencontre transformative avec les autres ?

La démarche proposée se veut logique. Pour faire en sorte que les jeunes restent principalement motivés par l’apprentissage, il faut d’abord comprendre comment fonctionne le cerveau dans toutes ses dimensions, cognitive mais aussi et surtout affective. Comment s’enracinent les peurs, celle de faire des erreurs, celle de l’étranger ? Comment se fabriquent des besoins comme lcelui d’être le plus fort ou celui d’obtenir le plaisir dans l’instant ?

Dans une première partie donc, les bases biologiques de l’agressivité et de la violence chez l’homme sont abordées pour mieux comprendre le fonctionnement de notre cerveau, de nos motivations et ainsi mieux repérer comment l’éducation peut développer la capacité à réguler sa propre agressivité, car il faut y insister, il ne pèse aucun déterminisme biologique condamnant les êtres humains à la violence.

Dans une seconde partie sont présentés des résultats issus de nos recherches sur la violence chez les adolescents et sur les risques de glissement de la violence expérimentée précocement vers une forme d’addiction à la violence. Ces recherches montrent également que la formation d’enseignants à l’école primaire en zone d’éducation prioritaire comme au collège peut contribuer à la prévention de la violence. La formation des enseignants visant à rapprocher la didactique et la socialisation a été évaluée par la mesure du score en empathie chez leurs élèves. L’empathie correspond, en effet, au lien social élémentaire entre les humains, dès que celui-ci disparaît survient la peur et rapidement s’ensuit la violence. Développer l’empathie telle que nous l’avons redéfinie pourrait devenir un objectif pédagogique de l’École.

Dans une troisième partie sont décrits les six points-clés de la formation des enseignants qui ont permis une réduction de la violence chez les élèves (voir plus haut)

En conclusion, les comportements quotidiens des acteurs de l’éducation et les valeurs dominantes de la société sont, en effet, directement interpellés. Cependant, repérer plus précisément les points d’achoppement d’un changement culturel peut donner à ceux qui le souhaitent les moyens de le réaliser.

Parents et enseignants

BC : A qui s’adresse cet ouvrage ? Quid des parents ?

DF : Une des raisons du succès relatif des recherches présentées dans ce livre en terme de prévention de la violence, réside dans la démarche qui a été faite avec chaque établissement expérimental pour associer les parents d’élèves et ainsi permettre à ceux qui l’ont souhaité de devenir les alliés des enseignants pour éduquer ces êtres en devenir que sont les élèves. L’évolution des missions de l’École demande, en effet, avec insistance de participer à l’éducation et à la socialisation des élèves. Dans ce contexte, cette dimension du métier de l’enseignant ne pourra se développer sereinement que si les systèmes de valeurs de l’École et la finalité de l’Éducation sont partagés avec les parents d’élèves. Donc il va falloir parler, échanger avec les parents sur la question des valeurs Créer des espaces de discussion entre enseignants et parents d’élèves où ce qui importe, attire, rebute ou fait peur pourra être abordé et discuté. L’expérience acquise pour instaurer une réflexion sur les valeurs pourrait rendre cette démarche plus facile.

Bien que cet ouvrage s’adresse directement aux enseignants, formateurs, chefs d’établissement et à tous ceux qui souhaitent participer à relever le défi de la violence et de l’échec scolaires, les parents d’élèves peuvent aussi y trouver des repères, des outils et des exemples pouvant les aider à transformer la violence de leurs enfants, et aussi les inciter ou encourager des enseignants à agir dans le même sens !


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Ce texte est publié avec l’autorisation des Editions Dunod.

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