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Changer le collège c’est possible !

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André Giordan, Jérôme Saltet, mis en ligne le 4 octobre 2010.

"A l’heure de la mondialisation nos enfants grandissent dans un monde de plus en plus complexe. Pour affronter ces enjeux, ils ont besoin de connaissances qui évoluent à une vitesse inconnue de leurs parents. Dans ce contexte, notre école, malgré ses objectifs ambitieux, ses tentatives de réforme pour coller aux exigences de son époque et la bonne volonté et la compétence de son personnel, ne remplit pas sa mission.

Le collège n’est pas la source d’épanouissement qu’il devrait être. Les enfants sont très vite largués, s’ennuient, voire pire. Les connaissances sont oubliées à peine mémorisées. Les savoirs, les savoir-faire, indispensables pour comprendre son époque, ne sont pas au collège. À quoi ont servi tout ce temps, tout cet argent dépensé depuis tant d’années ?

Pourtant d’autres pratiques pédagogiques ont montré leur efficacité en France et ailleurs. Depuis 6 ans, Jérôme Saltet et André Giordan les ont recensées et analysées. Dans plusieurs établissements, en Europe, ils ont tenté des innovations qu’ils ont évaluées. Et ça fonctionne !

Oui ! Le "collège idéal" existe et le mettre en place peut se faire rapidement, sans engager de dépenses supplémentaires !"

Ci dessous le chapitre 3 intitulé :

EN FINIR AVEC LES TABOUS

L’une des caractéristiques de notre projet, c’est qu’il n’épargne aucun des nombreux tabous qui plombent notre système éducatif.

Et d’abord, les programmes

Tout le système est construit en descendant, à partir des classes préparatoires aux grandes écoles. Chaque année n’est conçue que comme une préparation à l’année suivante. De plus, les programmes prennent toujours la forme de nomenclatures de savoirs disciplinaires, même mâtinés de compétences comme le propose le socle commun. L’enjeu essentiel est éludé : les savoirs de l’époque ne sont pas proposés par l’institution scolaire.

Il s’agit dès lors de sortir des habitudes, et notamment du corporatisme disciplinaire, pour se demander quels sont les savoirs vraiment porteurs pour un jeune d’aujourd’hui, afin de lui permettre de comprendre la société dans laquelle il vit, condition essentielle pour que cette société en mutation reste démocratique. D’évidence, apprendre à écrire reste un objectif prioritaire, mais pas en se limitant à la seule dissertation. Faire un rapport, réaliser une note, établir une synthèse, savoir prendre des notes, écrire un article, développer un argumentaire ou une intrigue sont autant de passages obligés.

Dans le même temps, il faut apprendre à parler, à argumenter, à communiquer, à convaincre, donc faire de la rhétorique, comme nos lointains ancêtres ! Prendre du recul, être critique, être curieux, avoir une bonne estime de soi et savoir entreprendre sont tout autant indispensables.*

Au-delà de ces bases inévitables que ne propose pas ou si peu l’école actuelle, le jeune reste tout autant illettré s’il n’a pas appris à rechercher, à trier et à critiquer l’information, y compris visuelle. Il doit s’approprier les savoirs de base sur le droit – ne vit-on pas dans une société de droit ? –, sur l’économie ou sur l’éthique.

Pourquoi attendre la terminale pour commencer la philosophie, c’est-à-dire, comme le dit Luc Ferry, pour « apprendre à vivre » ? Désormais, il faut comprendre l’autre différent, gérer des conflits, changer son regard sur le monde… c’est-à-dire faire de l’anthropologie. Neuf enfants sur dix habitent la ville, pourquoi n’apprennent-ils pas les bases de l’urbanisme pour lire leur cité ? De même, pourquoi la sociologie, la psychologie, l’analyse des institutions, l’histoire des idées ne sont-elles toujours pas au programme des lycées ? Tous ces savoirs sont indispensables pour comprendre notre époque, au même titre que la culture des techniques ou de l’innovation industrielle, toujours dévalorisée, méprisée, alors que les objets et la consommation envahissent nos vies. Pouvoir les décoder intelligemment, en maîtriser les usages et les limites devrait faire partie du bagage de base.

Apprendre à apprendre

De plus, on ne peut pas se contenter de réfléchir en termes de contenus disciplinaires ; des savoirs transdisciplinaires sont à introduire, des savoirs organisateurs sont à définir pour éviter l’émiettement des connaissances. Les démarches comme l’analyse systémique, la pragmatique, la modélisation sont des outils nécessaires pour décoder un monde complexe et incertain.

Enfin, l’apprendre, pourquoi n’est-il pas non plus au programme ? Cette immense lacune est reconnue de tous. Apprendre à apprendre n’a rien d’évident ; ce n’est pas une retombée automatique des autres apprentissages. Connaître son profil, savoir mobiliser son attention, savoir travailler seul ou en groupe, comprendre les consignes, mémoriser durablement, gérer le stress, cela s’apprend !

Pendant ce temps, d’autres savoirs continuent à être enseignés, uniquement pour… l’examen, par habitude. C’est le cas de beaucoup de savoirs mathématiques inutiles ! Dans cette discipline, de nombreux savoirs algorithmiques seraient à évacuer ; leur apprentissage gaspille un temps énorme alors que la plupart d’entre eux bloquent et l’imaginaire, et la pensée…

Apprendre à enseigner

Mais la question des programmes n’est pas le seul tabou à faire sauter si l’on veut changer l’école. Il faut aussi changer la manière d’enseigner. Il faut absolument sortir du credo « une matière, un prof, une classe, une heure de cours ». L’institution scolaire demeure une institution des moyens, et non pas des résultats ! Que de temps perdu dans les classes ! Parfois, dans une heure de cours, seules dix minutes restent efficaces ; le reste est consacré à l’organisation ou à… la discipline. Il faut faire régner un certain ordre. Ensuite, que de temps gâché parce que les élèves attendent passifs que l’enseignant commence à enseigner !

La manière de transmettre et l’organisation de l’école, et notamment celles du collège, sont à (re)penser. Les recherches sur l’apprendre montrent que ce n’est pas quand le professeur dit ou montre que l’élève apprend. Bien au contraire, cette pratique quand elle devient permanente démotive ou inhibe l’élève. Il apprend à consommer des notions. Sans questionnement, sans repères, rien ne fait sens pour lui ; cette méthode unique lui enlève même le désir d’apprendre et le goût pour les études.

Acteur ou auteur ?

Le recours à de l’activité (projet, défi, intrigue, travaux de groupe…) est impératif. Seul l’élève peut apprendre. Lorsqu’on ne prend pas en compte ses conceptions en classe, celles-ci persistent et même peuvent se renforcer.

Mais attention, sans freiner l’enthousiasme des innovateurs, il importe cependant de prendre conscience que les pédagogies dites de la « construction » ont également de grandes limites, et il faut bien se garder de confondre activité et apprentissage.

Apprendre implique que l’élève ne soit pas seulement « actif » (avec ses mains ou ses pieds). Il doit être d’abord « auteur » (avec sa tête) ! Il lui faut tout à la fois élaborer un nouveau savoir et déconstruire celui qu’il maîtrisait déjà. Il faut partir des élèves (ce qu’ils sont, ce qu’ils savent, ce qu’ils croient savoir, ce qu’ils ignorent) pour aller plus loin.

Changer ou disparaître

Beaucoup d’autodidaxie est à injecter dans l’école. Cela ne veut pas dire bien sûr que l’enseignant doit disparaître. Mais cela signifie qu’il doit changer. Apprendre est un processus complexe et paradoxal ; croire qu’il existerait une seule bonne méthode serait absurde. L’enseignant doit donc pouvoir jongler avec plusieurs manières de faire. Un environnement didactique complexe mis à la disposition de l’élève par l’enseignant ou l’équipe d’enseignants est mieux à même de motiver le collégien, de l’interpeller, de le nourrir et de l’accompagner.

La fonction du professeur doit donc intégrer de nouvelles dimensions : celles d’un éveilleur, d’un repère, d’un confident, d’une sage-femme, d’un metteur en scène des savoirs, plus que celle d’un transmetteur d’informations. Et sur ce terrain de la transmission, à l’heure d’Internet, les enseignants doivent aussi acquérir un autre savoir-faire : enseigner à chercher les informations, à avoir un regard critique sur elles, à leur donner un sens, à les mettre en relation, plutôt que les faire gober aux élèves !

Le métier va donc nécessairement changer dans les prochaines années. La profession doit s’y préparer sous peine de disparaître ! Déjà aux États-Unis, plus d’un million de familles ne mettent plus leurs enfants dans une institution scolaire. Leur choix : le home-schooling ! L’apprendre à la maison…

Changer le temps

Un autre tabou doit être attaqué de front, quelles que soient les résistances et les difficultés : celui du temps scolaire. Pivot de l’école, il est le symbole à la fois de l’importance des disciplines et de la représentation traditionnelle de l’école. Le découpage du temps scolaire est un formidable outil… pour l’administrateur, pas pour l’élève, pas pour le pédagogue.

Ainsi, la grille horaire rythme la pédagogie à l’école, incrustée dans les têtes, les mentalités et les représentations. Un cours, c’est forcément une heure, ou deux fois une heure. Les conséquences de ce mirage sont désastreuses  : il est impossible d’intéresser un élève à un poème ou à une oeuvre d’art et de le remotiver avec la même intensité trois jours ou une semaine plus tard, entre un match de football en cours d’EPS et une interrogation écrite de maths ! Comment sublimer des sentiments ou faire émerger une émotion, un regard en le saucissonnant ! On souhaiterait préparer les jeunes au zapping et à la consommation débridée qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

L’enseignant, quant à lui, peut-il établir une communication passionnée avec trente élèves pendant cinquante-cinq minutes et recommencer quinze ou dix-huit fois par semaine ? Et répéter trente-six fois dans l’année la même formule d’emploi du temps prépare-t-il à la créativité et à l’innovation ? Par ailleurs, ce découpage est incompatible avec la diversité des rythmes des élèves, avec les nécessaires pratiques interdisciplinaires, avec l’autodidaxie et avec l’ouverture de l’école. Tout n’est que rigidité, morcellement et immobilisme, alors qu’apprendre n’est qu’inventivité, diversité et changement.

L’école doit introduire des temps flexibles. Des moments courts pour enregistrer une technique, effectuer un échange de savoirs ; des moments longs pour élaborer une synthèse, travailler sur un exposé ; et des ruptures de temps ! Par exemple, une après-midi consacrée à un projet, une semaine centrée sur une notion transversale, des moments seuls dans un espace adapté pour que l’élève se concentre sur une étude personnelle. On doit même pouvoir faire place à des temps-« surprises » quand une occasion unique se présente – une rencontre, une actualité, une exposition – et qu’il faut la saisir à tout prix.

Changer le groupe

Et pourquoi travailler toujours en classes de vingt-quatre ou trente élèves ? Autre tabou ! À certains moments, l’enseignant pourrait bien faire classe devant deux cents élèves… quand il dicte un cours, fait une démonstration magistrale ou passe un film. À d’autres moments, il devrait pouvoir se consacrer pleinement à un petit groupe pour accompagner une recherche ou travailler auprès d’un seul élève aux prises avec un blocage. Comment autrement permettre à l’élève de faire face à une difficulté ou à un obstacle où l’affect est à prendre en compte ?

La juxtaposition d’actions, l’empilement d’approches ne peuvent déboucher que sur un brouillage dans la tête du jeune. Un simple graphe peut être enseigné à travers quatre rituels différents en physique, en mathématiques, en sciences et en géographie ! Des moments transversaux relient les savoirs, suscitent le questionnement et créent du sens. Et cela d’autant plus que les grands challenges auxquels la société est confrontée nécessitent de croiser plusieurs approches. Ouvrir l’école Toutefois, penser l’institution scolaire seule ne suffit plus : c’est vers une société apprenante qu’il faut avancer. L’école doit s’ouvrir. Elle ne peut être envisagée qu’en interaction avec les autres lieux de savoirs : les musées, les théâtres, les maisons de la culture, mais aussi Internet, les différents médias, les cafés « intellos » qui fleurissent et les mouvements d’échanges de savoirs. Elle doit aussi s’ouvrir aux parents, aux experts, à tous ceux qui peuvent ou doivent partager l’effort éducatif. On le voit, notre projet n’épargnera aucun des tabous de l’éducation. Nous aborderons plus loin d’autres révolutions à entreprendre, comme celle, cruciale, de la formation permanente des enseignants. Avant cela, attaquons-nous à un autre débat sans issue, celui des objectifs de l’école !

Changer le collège c’est possible !

Jérôme Saltet, André Giordan

Coédition Playbac Editions & Oh ! Editions

18,90 € - 216 pages


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