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Les enseignants face à la psychologie

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Edmond Marc, mis en ligne le 27 septembre 2013.

Edmond MARC, Professeur émérite de psychologie, Université Paris X.

La psychologie a accumulé un savoir considérable dans le domaine de l’éducation, de la formation et des processus d’apprentissage. Mais ce savoir est le plus souvent ignoré par ceux qui président aux destinées de l’enseignement. Cet article s’efforce de répondre, à la lumière des acquis de la psychologie aux questions suivantes : quels peuvent être les objectifs de l’enseignement ? Et quelles méthodes permettent de les atteindre ?

La question fondamentale

Depuis Montaigne, pédagogues, éducateurs et parents s’accordent assez facilement sur le principe qu’une « tête bien faite » vaut mieux qu’une « tête bien pleine ». Cependant, il faut bien constater que la majorité des pratiques éducatives sont loin de correspondre à un tel principe. Et d’autre part, le débat resurgit constamment sur ce qui constitue une « tête bien faite ».

Les uns mettant l’accent sur les disciplines fondamentales et l’accumulation des connaissances ; les autres sur les compétences de l’apprenant, sur sa capacité à apprendre et sur les processus plus que sur le savoir

Plus largement, ce sont les objectifs mêmes de l’éducation qui, à travers cette métaphore des « têtes », fait problème. Doit-elle se limiter à une éducation cognitive, à l’acquisition des savoirs fondamentaux ? ou doit-elle avoir une ambition plus large : celle de préparer l’apprenant aux tâches de la vie, à se comprendre lui-même, à comprendre les autres et le monde qui l’entoure ? Qu’elle le veuille ou non, elle fait les deux ; mais sans vraiment assumer en toute conscience sa tâche éducative.

Sans prétendre apporter une réponse simple à un débat qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, je voudrais plaider pour une conception large et ouverte de l’éducation et surtout montrer quelle place peut y tenir la psychologie. Pour le faire, je m’appuierai moi-même sur les apports de cette discipline dont on peut s’étonner qu’ils ne soient pas plus pris en compte dans le débat public sur l’éducation : chacun se sent autorisé à trancher en fonction de ses opinions ou de ses convictions, sans se soucier des faits ou des connaissances acquises en ce domaine.

Il existe pourtant une pédagogie expérimentale dont les recherches sont considérables en matière d’éducation et qui permet d’apporter des réponses précises en matière de pédagogie.

Le constat établi par Jean Piaget il y a une quarantaine d’années déplorant « l’ignorance dans laquelle nous sommes restés quant aux résultats des techniques éducatives » demeure toujours d’actualité. Il est, par exemple, des enseignements dénués de toute valeur formatrice que l’on continue d’imposer sans chercher à vérifier s’ils atteignent le but qui leur est dévolu. La question fondamentale, et qui pourtant reste souvent implicite, est celle des objectifs de l’enseignement.

S’agit-il d’accumuler des connaissances ou d’apprendre à apprendre ? De répéter le discours magistral ou d’être capable d’innover et d’inventer ? De reproduire ce qui a été enseigné ou de savoir évaluer, contrôler, prouver ? D’apprendre à réciter des leçons ou d’apprendre à vivre ? Une seconde question, une fois ces objectifs fixés, est de savoir encore comment les atteindre. Quels sont les enseignements et les méthodes les plus favorables pour y parvenir ? Telles sont les deux problématiques que je souhaiterais évoquer ci-après.

Les réponses à ces questions ne dépendent pas seulement de choix idéologiques ou de préférences personnelles. Elles impliquent des connaissances précises quant aux processus de socialisation et de fonctionnement mental qui relèvent, entre autres, de la psychologie du développement et de l’apprentissage, de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale. Il existe souvent un décalage très important entre les théories implicites ou explicites qui guident les pratiques pédagogiques et les connaissances apportées par ces disciplines.

Prenons-en un exemple : celui de l’intelligence. Tout le monde peut s’accorder sur le fait que le développement de l’intelligence est l’un des objectifs majeurs de l’enseignement. Mais sur la compréhension de cette notion, les écarts sont considérables. Il est instructif à ce niveau de confronter deux définitions : celle du dictionnaire Robert et celle d’un dictionnaire de psychologie. Le Robert propose une conception que l’on peut qualifier de traditionnelle : « L’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle » ; alors que le second parle d’une « capacité générale d’adaptation à des situations nouvelles par des procédures cognitives » (Grand dictionnaire de la psychologie, Larousse).

On saisit tout de suite la différence entre ces deux définitions : la première, statique, tend à assimiler intelligence et savoirs conceptuels ; la seconde, dynamique, met l’accent sur le processus d’adaptation de l’homme à son environnement. C’est la conception traditionnelle beaucoup plus que la conception scientifique qui sous-tend l’orientation dominante de l’enseignement aujourd’hui.

Les intelligences multiples

D’autre part, les recherches actuelles tendent à remettre en cause l’idée d’une intelligence unique (assimilée aux aptitudes logico-mathématiques et discursives privilégiées par le système scolaire) pour promouvoir l’idée d’une pluralité des formes d’intelligence. Howard Gardner, professeur de neurologie à l’université de Boston a été amené à distinguer sept formes d’intelligence répondant à des capacités humaines différentes :

- l’intelligence logico-mathématique (celle qui est traditionnellement mise en relief) correspondant à la résolution de problèmes par une démarche rationnelle ;

- l’intelligence langagière, elle aussi largement explorée par la psychologie depuis plus d’un siècle ;

- l’intelligence spatiale, qui renvoie à la capacité à s’orienter dans l’espace (dessin, lecture des cartes, sens de l’orientation, jeu d’échec...).

- l’intelligence interpersonnelle qui renvoie à la capacité de comprendre autrui, de communiquer avec lui et de gérer les interactions sociales (capacité très importante dans toute la vie sociale et professionnelle) ;

- l’ntelligence intrapersonnelle qui est l’aptitude à la connaissance introspective de soi (sur laquelle Paul Diel a particulièrement insisté) ;

- l’intelligence kinesthésique qui est la capacité à utiliser son corps et à coordonner ses mouvements pour réaliser différentes tâches (activités manuelles, sport, danse, lutte...) ;

- l’intelligence musicale impliquée dans la perception et la production des sons et de la musique.

Schématiquement résumée, cette théorie montre que l’intelligence n’est pas une faculté humaine réifiée faite de l’accumulation de savoirs conceptuels, mais un ensemble d’aptitudes concrètes servant à résoudre toute la gamme de problèmes que pose l’adaptation créative de l’homme à son environnement physique, culturel et social. Cette analyse a de très fortes implications pour l’enseignement. Elle amène à sortir d’une « conception unidimensionnelle de l’esprit ». L’intérêt exclusif de l’enseignement formel pour les connaissances abstraites, logiques et discursives, ne permet pas le développement harmonieux des différentes formes d’intelligence. N’étant pas prises en compte, sollicitées et stimulées, les autres formes s’étiolent.

Or, tout en étant largement ignorées par l’enseignement, elles ont souvent une importance cruciale dans la vie active : la compréhension de soi et des autres, la capacité à communiquer et à interagir avec autrui sont essentielles dans la vie professionnelle ; n’étant pas clairement identifiées et transmises par le système scolaire, elles font souvent cruellement défaut au moment de l’entrée dans la vie active ; d’où le fossé souvent ressenti entre l’univers scolaire et l’univers social.

Comme le souligne H. Gardner, « Notre monde est grevé de problèmes ; pour avoir une chance de les résoudre, nous devons user au mieux des intelligences que nous possédons. Reconnaître leur pluralité et la diversité de leurs manifestations serait peut-être un premier pas dans cette voie ».

La compétence, une capacité à agir

Dans cette approche, la notion de compétence apparaît tout à fait centrale. Elle met l’accent sur le fait que l’enseignement doit développer une capacité à agir dans la vie quotidienne plus qu’à briller dans les épreuves scolaires. La connaissance n’est pas seulement un savoir, elle est aussi un savoir-être ouvrant sur des savoir-faire. Comme le rappelle Louis Not : « La connaissance se définit par l’action effective ou symbolique, matérielle ou mentale qu’elle permet ».

Ainsi utilisée, la notion de compétence désigne la capacité à effectuer telle action ou telle opération dans des conditions optimales. Comme le souligne Jérôme Bruner : « D’une certaine manière, parler de compétence, c’est parler d’intelligence au sens le plus large, de l’intelligence opérative du savoir comment plutôt que simplement du savoir que. La compétence suppose en effet l’action, la modification de l’environnement comme l’adaptation à cet environnement ».

Ainsi met-on l’accent aujourd’hui, à côté des compétences académiques qui font appel de façon prépondérante à la capacité de mémorisation, sur les compétences pratiques, celles qui permettent d’agir efficacement dans les différentes situations de la vie quotidienne. Parmi ces compétences, les « compétences psychosociales » tiennent une place importante : elles concernent la capacité à entrer en relation avec les autres, à communiquer et dialoguer avec eux, à négocier, à travailler en groupe... Là encore, on peut parler d’un savoir-faire psychologique qui, même s’il peut se construire spontanément, pourrait s’exercer et se développer dans le cadre de l’enseignement.

Les conceptions actuelles de l’intelligence amènent à y inclure une compréhension des phénomènes psychiques qu’un enseignement de psychologie pourrait contribuer à instaurer ; cette compréhension est indispensable dans les relations familiales, les relations à l’école, la vie professionnelle et associative, les rapports sociaux et la citoyenneté. Cette compétence psychosociale serait tout aussi utile à développer, sinon plus, que la pratique des langues anciennes ou de la grammaire. (Armen Tarpinian parle d’intelligence psychothérapique.)

Pour une conception complexe de l’intelligence, la connaissance n’est pas séparable de l’action et de l’affectivité ; alors que l’enseignement tend à les dissocier, privilégiant le savoir (et au sein du savoir, les connaissances déclaratives par rapport aux connaissances procédurales) sur le savoir-faire et le savoir-être. Jérôme Bruner, le père du cognitivisme, dénonce lui-même ce cloisonnement : « J’ai regretté, écrit-il, que l’on ait pris l’habitude de tracer une frontière conceptuelle entre pensée, action et émotion en tant que « régions » de l’esprit. Nous avons été contraints par la suite de bâtir des ponts conceptuels pour relier ce qui n’aurait jamais dû être séparé ».

Finalités de l’enseignement

L’enseignement peut-il se limiter à la formation de l’esprit et à la culture livresque ? La plupart des pédagogues ont soutenu qu’il devait être une préparation à la vie. Ainsi Alfred Adler pensait qu’il revenait à l’école d’assurer la transition entre l’univers familial et la vie sociale. Cette tâche n’est pas seulement intellectuelle ; elle concerne l’ensemble de la personnalité de l’enfant et constitue un véritable apprentissage du « savoir-vivre ». Pour lui, les problèmes que rencontre l’enfant sur cette voie sont moins d’ordre cognitif que psychologique : « Nous avons toujours constaté que le fléchissement scolaire était un signal d’alarme indiquant des difficultés moins sur le plan des études que sur le plan psychologique ».

L’école pourrait, si elle était consciente de ce fait, opérer une action compensatrice et même rééducatrice par rapport aux défauts de l’éducation familiale. Mais le plus souvent, elle tend au contraire à les accentuer, ne répondant aux difficultés de l’enfant que par des modes de fonctionnement qui, trop fréquemment, provoquent découragement et ou révolte.

Autorité et morale

On s’inquiète aujourd’hui à juste titre de l’« incivilité » grandissante des jeunes et de violences plus graves. . On leur cherche souvent comme remède la restauration de l’autorité de l’adulte et le retour à un système plus coercitif à l’école. Il faudrait méditer, à ce propos, ce qu’écrivait Jean Piaget à partir de sa connaissance profonde de la psychologie de l’enfant : "Tout fonder sur le respect de l’autorité de l’adulte n’est pas sans danger. Au niveau intellectuel, cela conduit au conformisme et à la soumission qui empêchent l’apprenant de développer sa capacité de penser ; d’accéder vraiment à « cette réflexion et cette discussion critiques qui constituent la raison, et que seule la coopération et l’échange véritable peuvent développer".

Du point de vue du respect des valeurs et des règles de la vie sociale, le danger est le même : « Au verbalisme de la soumission intellectuelle correspond une sorte de réalisme moral : le bien et le mal sont simplement conçus comme étant ce qui est conforme ou non conforme à la règle adulte. Cette morale essentiellement hétéronome de l’obéissance conduit à toutes sortes de déformations. Incapable d’amener l’enfant à cette autonomie de la conscience personnelle qui constitue la morale du bien par opposition à celle du devoir pur, elle échoue ainsi à préparer l’enfant aux valeurs essentielles de la société contemporaine ».

La coopération

Piaget proposait de suppléer aux insuffisances de la discipline imposée du dehors, qui aujourd’hui, en plus, entraîne de moins en moins d’adhésion, par une discipline intérieure fondée sur la vie sociale des enfants eux-mêmes. Il montre, par exemple, que ceux-ci, dans leurs jeux collectifs, sont capables de s’imposer des règles qu’ils respectent mieux que les consignes édictées par les adultes. Là où l’école réduit la socialisation intellectuelle et morale de l’enfant à un mécanisme de contrainte, il faudrait miser sur les riches potentialités qu’offre la vie sociale des enfants entre eux. Citons encore Piaget :

« La coopération des enfants entre eux présente [...] une importance aussi grande que l’action des adultes. Du point de vue intellectuel, c’est elle qui est le plus apte à favoriser l’échange réel de la pensée et la discussion, c’est-à-dire toutes les conduites susceptibles d’éduquer l’esprit critique, l’objectivité et la ré-flexion discursive. Du point de vue moral, elle aboutit à un exercice réel des principes de la conduite, et non pas seulement à une soumission extérieure ».

C’est le fondement des méthodes dites « actives » ou « nouvelles » (Cousinet, Freinet, Decroly...) qui, en partant de la vie sociale des enfants, ont cherché à favoriser sinon l’« auto-gestion » des apprenants, du moins une « cogestion » où l’enseignant joue un rôle important d’organisation, de stimulation et d’élucidation. À voir les noms que l’on vient de citer, on se rend compte que ces méthodes « nouvelles », qui ont largement fait leurs preuves, ont aujourd’hui un âge respectable ; pourtant elles ont été incapables, malgré le soutien des pédagogues et des psychologues, d’ébranler sérieusement la forteresse inexpugnable de la pédagogie traditionnelle. C’est un phénomène historique impressionnant qu’il faut s’efforcer de comprendre.

La question des méthodes

Cette réflexion nous amène, en tout cas, à poser la question des méthodes. Car si l’on peut arriver à la conclusion que la connaissance des phénomènes psychologiques impliqués dans la compréhension de soi et des autres, dans les relations, dans la communication, dans la vie en groupe, peut être utile à enseigner, il reste à s’interroger sur les moyens d’un tel enseignement.

Essayons d’aborder cette question à partir d’un exemple d’actualité : les graves problèmes posés à l’institution scolaire par la violence de certains jeunes. Devant la montée de l’incivilité et de la violence, une solution envisagée est l’introduction ou le rétablissement de cours d’instruction civique. Mais quel va être le contenu de tels cours ? Et surtout, comment vont-ils être enseignés ? Pense-t-on qu’il suffit de faire un cours aux jeunes sur les principes de la vie civique pour modifier leurs comportements ? Les recherches en psychologie sociale ont montré qu’une telle démarche est de peu d’effet.

La solution du cours est un réflexe routinier qui néglige l’ampleur des connaissances acquises sur le changement social. Les « pédagogies institutionnelles » étaient plus inventives et pertinentes lorsqu’elles ont montré que si l’on souhaite inculquer aux jeunes les principes du fonctionnement démocratique, il fallait d’abord mettre ceux-ci en Å“uvre dans la classe et dans l’établissement. Disons au passage que la dynamique TP/TS y jouait à plein, les transformations institutionnelles et personnelles se surdéterminant mutuellement.

On peut élargir la portée de cet exemple : depuis John Dewey, pédagogues et psychologues ont démontré qu’on apprend à travers l’action et l’expérience beaucoup plus qu’à travers la réception d’informations. Comme le souligne L. Not : « La connaissance ne procède ni d’une audition, ni d’un spectacle et le modèle magistral est de peu d’effet s’il n’est l’objet que d’une contemplation admirative ou simplement intéressée. Ces méthodes se sont sauvées de l’échec en doublant le processus de transmission par une phase d’exercices où se déploie l’activité du sujet mais il est clair que la connaissance ne vient pas à l’élève à travers ce qu’il est censé recevoir mais à travers ce qu’il fait ». On ne peut faire passer le savoir du professeur à l’élève par une simple transmission selon la métaphore des vases communicants.

Les travaux de didactique comme les recherches de psychologie génétique et cognitive montrent que la constitution de connaissances résulte d’un processus beaucoup plus complexe et implique l’activité du sujet. C’est déjà ce qu’avait posé le psychologue Carl Rogers dans un texte fameux où il distingue fortement deux démarches : « enseigner et apprendre ». De façon volontairement provocante, il avance que « les résultats de l’enseignement sont ou insignifiants ou nuisibles ».

Insignifiants, car, comme de nombreux enseignants en font quotidiennement le triste constat, il est difficile de transmettre ce que l’on voudrait transmettre : les éléments qu’ils exposent ou laissent peu de traces car ils n’évoquent rien de concret dans l’esprit et l’expérience de l’auditeur, ou bien sont reçus et réinterprétés à la lumière de cette expérience (ignorée de l’enseignant) et donc souvent mal compris ou déformés. Nuisibles, car lorsque l’enseignement semble atteindre son but, il fait que l’enseigné se conforme à ce qu’on lui inculque et perd confiance en sa propre expérience et sa propre capacité de penser.

Pour Rogers, les seules connaissances véritables et profondes sont celles que la personne découvre et s’approprie à travers un processus d’apprentissage qui a pour base l’expérience et sa liberté de questionnement. Or c’est par apprentissage que se constituent les connaissances et que s’élaborent les compétences ; et cet apprentissage implique une expérience concrète et significative dans laquelle le sujet joue un rôle actif. C’est ce qui a motivé l’introduction de « travaux pratiques » dans l’éducation, mais ceux-ci ne sont malheureusement souvent qu’une forme minimale et appauvrie d’expérience.

Si l’on accepte la position défendue par Rogers ( qui, bien entendu, vise les méthodes et non les enseignants don il ne s’agit pas de contester la bonne volonté et le dévouement) alors les perspectives changent ; soulignons d’ailleurs, que cette position est largement confirmée par les théories de l’apprentissage. La question qui se pose alors aux enseignants devient : qu’est-ce qui peut favoriser un processus d’apprentissage chez la personne ? Indiquons brièvement quelques réponses parmi les plus assurées qui se dégagent des travaux des psychologues et des pédagogues.

Les conditions de l’apprentissage

La première, c’est qu’une connaissance est d’autant mieux assimilée qu’elle apparaît comme une réponse à une question que se pose l’apprenant. Selon la formule fameuse de J. Dewey : « Toute leçon doit être une réponse ». Ce que souligne en écho C. Rogers quand il dit qu’« une connaissance authentique est plus facilement acquise quand elle est liée à des situations qui sont perçues comme des problèmes ». Or l’enseignement s’inscrit le plus souvent dans une logique disciplinaire et une perspective abstraite très éloignées de l’expérience existentielle de l’apprenant. Cette perspective peut être étendue à travers la notion fondamentale de « motivation ».

La motivation, notion éminemment dielienne, est cette force, cette dynamique qui pousse à agir et oriente l’individu vers un but et le soutient jusqu’à ce que ce but soit atteint. Elle apporte à la conduite sa force, sa direction et sa persistance. Elle puise son énergie dans le besoin et la valeur sociale que représente l’objectif visé pour le sujet. La psychologie, comme le sens commun, nous dit qu’un individu apprend d’autant mieux qu’il est motivé à le faire. Cette motivation s’étaye sur des besoins fondamentaux : besoin de participation, besoin de reconnaissance et besoin d’accomplissement (selon A. Maslow).

Mais la motivation est aussi la résultante d’attentes liées aux interactions de l’individu et de son environnement : attente de réussite, sentiment de compétence (se sentir capable de...), valeur attribuée à l’objectif, à l’effort et à la sanction. Un apprenant doit savoir ce que l’on attend de lui, avoir le sentiment que son action peut influencer ses résultats, éprouver que ses efforts et ses progrès sont récompensés ; il faut que l’attitude de l’enseignant lui apporte soutien, stimulation et reconnaissance : sentiment d’être pris en compte et respecté, satisfaction de pouvoir manifester sa compétence et fierté de la réussite.

La qualité de l’apprentissage dépend de l’implication de l’apprenant. Il s’agit de l’investissement dans la tâche en fonction de l’intérêt qui lui est porté. Un élève qui se sent impliqué dans ce qu’il fait est beaucoup plus porté à s’investir dans son travail et à déployer des efforts pour atteindre ses objectifs. Mais l’implication est souvent liée à une liberté de choix et à un sentiment d’autonomie. Plus le système d’enseignement est contraignant et néglige la motivation et l’initiative de l’apprenant, moins celui-ci sera impliqué.

Enfin, la persévérance dans l’apprentissage dépend de la satisfaction qu’il apporte. Cette satisfaction est liée à plusieurs facteurs : l’intérêt de la tâche pour l’apprenant, la possibilité à travers elle d’éprouver sa compétence et de développer ses capacités, le sentiment de responsabilité et d’autonomie, l’estime et la reconnaissance de soi ; ces facteurs se renforcent mutuellement : la possibilité d’action, le sentiment de compétence et d’efficacité renforcent l’estime de soi qui à son tour agit sur les performances.

Pour pouvoir mobiliser la motivation, l’implication et le sentiment de satisfaction chez l’apprenant, il faut que les buts qu’il vise lui semblent accessibles et pas trop lointains ; il faut aussi que des réussites partielles renforcent son sentiment de compétence et que ces réussites rencontrent une sanction positive . Aussi est-il important que les objectifs pédagogiques fassent appel à la motivation et à l’implication de l’apprenant ; mais aussi qu’ils soient suffisamment progressifs et gradués pour entraîner des sentiments de compétence, d’efficacité et de réussite accrus tout au long du parcours pour les atteindre. L’expérience montre que ces motifs psychologiques sont faiblement pris en compte dans le système d’enseignement (à tous les niveaux) .

Pour conclure

Si l’on admet l’intérêt de la psychologie (au sens le plus large) dans la formation, il ne s’agit pas d’introduire pour ce faire un cours théorique de psychologie ou de sociologie dans les cursus existants. Ce serait de peu d’effet. Il s’agit plutôt de favoriser un apprentissage des phénomènes psychiques et relationnels en partant des intérêts profonds des apprenants ; en prenant appui aussi sur les questions qu’ils se posent et sur l’expérience concrète que propose la vie sociale dans la classe ou les établissements. Beaucoup d’approches et de pratiques à cet égard novatrices existent et ont fait leurs preuves comme le rappelle l’ouvrage École changer de cap. Contributions à une éducation humanisante.ICI

Ainsi, chacun pourra construire un savoir empirique et une compétence fondée sur la participation active et l’expérience personnelle. Les apprentissages doivent rechercher autant que possible la motivation, l’implication et la satisfaction de l’apprenant. Ils doivent s’inscrire dans une dynamique de la réussite bien comprise, et non jouer sur la peur de l’échec.

À ces conditions, l’enseignement, plutôt que de rester une accumulation de savoirs fragmentés et sans beaucoup de vie, pourra devenir dans toutes ses dimensions une formation aux Savoir-Vivre. "Loin de nuire aux apprentissages scolaires ou d’alourdir la tâche des enseignants, ce serait créer les conditions d’une éducation humanisante où savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir-être-ensemble s’apprennent conjointement" (cf ouvrage du Collectif cité ). .

Brève bibliographie

Piaget J., Psychologie et pédagogie, Denoël, 1969 ;

Howard Gardner, Les intelligences multiples, Editions Retz, 2004.

Not L., Les pédagogies de la connaissance, Privat, 1988.

Bruner J., Culture et mode de pensée, Retz, 2000, p.131

Adler A., L’éducation des enfants, P.B. Payot, 2000.

Diel P., Éducation et rééducation, P.B. Payot, 1989.

Piaget J., Psychologie et pédagogie, Denoël, 1969, p.262

Rogers C., Enseigner et apprendre, Dunod, 2007 ;

Le développement de la personne, Dunod, 2004

Jacques Delors, (dir.) sous l’égide de l’Unesco, L’éducation, un trésor est caché dedans. Odile Jacob, 1996.

Edgar Morin., Les sept savoirs pour l’éducation du Futur, Le Seuil, 2000.

Ouvrages du Collectif :

A.Tarpinian et al, École changer de Cap.Contributions à une éducation humanisante, Éditions Chronique Sociale, 2007 :

Donner toute sa chance à l’école. Treize transformations nécessaires et possibles... Éditions Chronique Sociale, 2011..


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