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L’ Éducation psycho-sociale au service d’un nouvel humanisme

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Maridjo Graner, mis en ligne le 8 septembre 2013.

Maridjo GRANER

Donner toute sa chance à l’école. Treize transformations nécessaires et possibles.. Rencontre avec le Collectif École changer de cap organisée par la Mutuelle générale de l’éducation nationale MGEN, Paris 8 Octobre 2011.

L’Éducation psycho-sociale : un nouveau paradigme

Je voudrais présenter ici dans quel esprit a travaillé notre Collectif École changer de cap qui comprend pas moins de15 réseaux, des chercheurs et des acteurs de terrain, réunis en 2002 dans la Commission Éducation de l’association "Transformation personnelle-Transformation sociale" (TP-TS), en vue d’une refondation de l’école sur une autre conception de l’éducation.

S’inscrivant dans la vision humaniste de l’éducation et de l’apprentissage des savoirs, celle qui va de « la tête bien faite » de Montaigne à l’école active de Freinet, l’éducation psycho-sociale met en Å“uvre les principes pédagogiques de l’école nouvelle axés sur l’implication personnelle de l’élève et la coopération. Mais en les enrichissant des connaissances et de pratiques innovantes et éprouvées que les sciences humaines et la recherche en éducation ont mises à notre disposition.

Par exemple, la reconnaissance de l’importance de l’estime de soi, ou du rôle des émotions dans l’apprentissage, très négligés sinon ignorés jusque là ; les études et pratiques concernant la prévention de la violence ; les outils de connaissance de soi et d’écoute de l’autre mises en oeuvre dans les différentes écoles psychothérapiques mais aussi nécessaires dans d’autres contextes relationnels ; l’attention plus sensible portée aux besoins fondamentaux de l’être humain : sécurité, amour, estime, justice qui doivent être satisfaits pour qu’un enfant puisse développer des relations sociales positives ; l’ouverture à la complexité, toutes ces notions, parmi d’autres, permettent d’ouvrir la voie à cette éducation psycho-sociale qui concerne aussi bien la formation des enseignants que celle des élèves. Et dépasse même le cadre scolaire pour une éducation tout le long de la vie.

Cela se traduit par de nouvelles ambitions pour l’école qui, sans minimiser son rôle primaire de transmission des savoirs passent nécessairement par ces transformations refondatrices d’une école mieux accordée à ses valeurs républicaines.

Je voudrais les énumérer avant de revenir sur certaines d’entre elles :

1- Repenser les conditions de formation des enseignants,

2- Officialiser le travail en équipe,

3- Intégrer, de la Maternelle à l’Université, les apports de l’éducation psycho-sociale,

4- Repenser l’autorité,

5- Assurer la formation à la gestion non-violente des conflits,

6- Généraliser les apprentissages de base par cycles de maturation,

7- Éduquer au sens de la complexité et à l’esprit de la science,

8- Conférer un statut positif à l’erreur,

9- Transformer les modes d’évaluation,

10- Apprendre à apprendre,

11- Apprendre à échanger,

12- Eduquer à l’interculturalité,

13- Apprendre à philosopher.

Ces transformations répondent à une attente inquiète, dont témoigne l’effervescence des pétitions, appels, articles, émissions de radio et de télévision, sites internet dédiés à l’école, initiatives des acteurs de terrain, qui proposent ou exposent ce qui peut et doit se faire . Les programmes des partis politiques en campagne électorale devront nécessairement en tenir compte pour répondre à cet espoir d’une école effectivement démocratique, qui donne à chaque enfant la possibilité de développer ses qualités et compétences en soutenant son désir d’apprendre.

Démocratisation veut dire ici, comme le proposait déjà Henri Wallon en 1946, élévation générale du niveau culturel de la société dans son ensemble et non seulement promotion des meilleurs, qu’ils soient des classes dominantes ou défavorisées.

L[’éducation psycho-sociale en serait le vecteur par excellence. Pour illustrer avec précision ses voies et ses pratiques, nous pouvons renvoyer, parmi les ressources essentielles indiquées dans notre livre, au « Programme pour l’école », auquel plusieurs membres du Collectif ont participé dans le cadre de la " Coordination française pour la Décennie internationale (2001-2010) de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde", proclamée par l’ONU en 1998. Peu coûteux, ce programme "humanisant", au sens le plus large du terme, est un instrument de prévention et de formation psychosociale inappréciable, prêt à l’emploi, pourrait-on dire. (cf proposition 3). voir Programme pour l’école en bas de page.

En fait la sonnette d’alarme a déjà été tirée depuis plusieurs années (et notre Collectif a commencé ses travaux bien en amont jusqu’à la parution d’« Ã‰cole, changer de cap. Contributions à une éducation humanisante ». Ed. Chronique sociale. 2007.

Mais cette prise de conscience est en partie due aux résultats de l’enquête internationale PISA, qui ne sont pas glorieux pour la France,notamment en ce qui concerne la démocratisation : la France est parmi les pays où les résultats des élèves sont le plus fonction de leur appartenance sociale et donc les moins capables d’aider les plus défavorisés, ce qui est pourtant une priorité pour 83% des sondés d’un récent sondage IPSOS. Le drame du harcèlement entre élèves a aussi réveillé l’opinion et alerté les politiques sur la question de la souffrance à l’école. Sans parler des décrochages scolaires etc.

Alors des changements, oui, mais lesquels ? vers où ? C’est à cette question que ce petit livre récemment paru voudrait apporter des réponses et indiquer des voies "nécessaires et possibles" et signaler des outils (cf l’Annexe des Ressources).

Un changement de cap

Ce qu’il propose c’est un changement de cap, un autre sens, une autre finalité pour l’école, d’autres valeurs. Sa finalité affichée (donner à chacun des chances égales d’accéder à la réussite) tient pour acquis que la réussite scolaire, conduisant à une bonne réussite sociale, constitue le sens de la vie. Ce serait déjà un progrès si l’institution prenait vraiment les moyens de son ambition en généralisant les méthodes éprouvées pour faire aimer l’école.

Mais le nouveau cap est d’une autre portée, une portée anthropologique : c’est à la réussite humaine (incluant naturellement la réussite scolaire) que ces transformations veulent conduire. L’Éducation psycho-sociale, ce concept civilisateur comme dit Armen Tarpinian, c’est l’intégration méthodique de la connaissance de soi et des interactions interhumaines dans le programme des apprentissages. Elle rassemble dans sa vision de l’homme les « savoirs, savoirs-faire, savoir-être et savoir-vivre-ensemble qui s’apprennent conjointement » pour créer une culture de base qui soit réellement commune à l’humanité et pas seulement à telle ou telle société (v.p.35 : « Vers une culture de base commune »). En effet, loin de négliger la réussite scolaire l’éducation psycho-sociale la favorise. Mais elle n’en fait pas le critère de la valeur humaine. On sait que les diplômes n’ont jamais été, par eux-mêmes, un barrage à la barbarie de leurs heureux possesseurs.

Cette prise de position bouscule les hiérarchies sociales, trop calquées actuellement sur les hiérarchies scolaires qu’à leur tour elles déterminent. C’est en ce sens que l’école est dite « fille et mère de la société ».

Alors, si nous voulons une société plus démocratique, la démocratisation de l’enseignement si nécessaire soit-elle, ne suffit pas. Il nous faut promouvoir dès l’école l’esprit démocratique tel que défini plus haut.

Sinon la démocratie se résumera en une domination de la majorité sur les minorités sans égard à la justesse de sa cause, sans aucune référence éthique. Hitler a été démocratiquement élu, ne l’oublions pas.

Quittons résolument la direction dans laquelle l’école est engagée, puisque comme le constate entre autres, Marie-Danièle Pierrelée : "l’école sécrète l’ennui et la désaffection des enfants comme des enseignants". Ce n’est bien sûr pas la généralité, « même » dans l’école traditionnelle il y a des élèves et des enseignants heureux, mais c’est suffisamment préoccupant pour que, justement, on s’en préoccupe.

A titre d’exemple : voilà Damien, un garçon qui suit sa scolarité primaire en se traînant d’une année à l’autre. Il est bon élève, mais il s’ennuie. En CM2 sa maîtresse pratique les méthodes actives. Damien devient intarissable sur cette nouvelle expérience : travail en équipe, recherches personnelles transdisciplinaires, demandant initiative et autodiscipline, projet artistique auquel toute la classe participe et qui implique de l’entraide. Et conclut : «  Avec cette maîtresse on apprendrait n’importe quoi, et c’est pas seulement moi qui le dis c’est toute la classe ». La méthode, mais aussi la maîtresse elle-même, par sa personnalité, avait fait découvrir à ces enfants le plaisir d’apprendre et celui de coopérer..

Est-ce que le plaisir s’oppose à l’apprentissage ou est-ce qu’il le favorise ? En quoi le « gai-savoir » compromettrait-il l’acquisition des savoirs ?

Une autre conception de la réussite

Puisque c’est possible autant que souhaitable, on se prend à rêver que cesse le gâchis d’élan, d’enthousiasme, de l’envie d’apprendre qui résulte de l’obsession de rendement et d’évaluations-couperet engendrée par la définition uniquement scolaire de la réussite. Si le seul critère reconnu de la valeur d’un être humain est la réussite scolaire, celle qui met en jeu l’intelligence abstraite, et si l’on sait que le besoin d’estime et de reconnaissance est un besoin profond, il ne faut pas s’étonner que comparaisons, compétition, concurrence soient à ce point exacerbées, d’un côté à l’autre du fossé qui se creuse ainsi entre les bons et les mauvais élèves, les filières, les établissements. Avec les conséquences désastreuses sur le plan psychologique et social pour ceux qui abandonnent la course.

Une fois ce diagnostic établi la solution pourrait s’imposer d’elle-même. Mais pour cela il faut bien promouvoir une conception de la réussite, moins utilitaire. Une réussite humaine, « ensemble », et non celle des gagnants contre les perdants.

Sinon les « perdants », ceux qui ont d’autres formes d’intelligence, ou qui souffrent de blocages et d’inhibitions non pris en compte, vous diront, comme cela m’est arrivé dans le cadre d’une animation Éducation à la vie que je faisais dans une classe professionnelle : « Nous, Madame, on est les nuls ».(cf.proposition n°4)

Revoir la nature et les objectifs de l’évaluation s’impose si l’on veut prévenir ces conséquences. C’est le sujet des propositions 8 et 9 de ce petit livre : cesser de considérer l’erreur comme une faute et aller vers une évaluation formative, qui, en indiquant à l’enfant où il en est l’aide à progresser sans être jugé .

« Le contrôle préparé, avec pour objectif que l’enfant le réussisse parce qu’il aura compris ce qu’on lui demande et non pour pouvoir le classer parmi les bons ou les mauvais », voilà une proposition faite par un père d’élève, lui-même « ancien cancre » selon ses dires, et qui va dans ce sens .

Alors… les transformations « nécessaires et possibles » pour que l’énorme navire change de cap et réponde aux espoirs de ses usagers, concernent bien les moyens et les méthodes mais surtout, comme nous avons vu, les finalités.

Donc, pour ce qui est des méthodes, faisons appel aux principes-guides de ce qu’on appelle la nouvelle pédagogie, pas si nouvelle pourtant mais qui peine à renouveler la pédagogie traditionnelle. Et intégrons-y l’éducation à la pensée complexe pour former les élèves « Ã  l’esprit scientifique et à son doute constructif ». Celle-ci « devrait accompagner toutes les formes et niveaux d’études » pour les aider « Ã  se garder des préjugés et tentations simplificatrices et à devenir des citoyens mieux éclairés… » (cf proposition n°7)

Et aidons les à développer leur esprit critique . Les élèves français, dit le rapport PISA, sont parmi les plus inhibés. La peur de se tromper, d’être mal jugés par le professeur, moqués par les camarades, leur ferme la bouche et bloque leur envie d’approfondir. « J’ai voulu poser une question, mais on m’a fait taire », disait une étudiante venue d’Amérique. « Chez nous on est encouragé à poser des questions, à donner son opinion, à discuter entre nous et avec le professeur ».

Une formation complémentaire à l’auto critique, partie intégrante de l’éducation psycho sociale, est tout aussi nécessaire pour acquérir une suffisante objectivité de jugement.

L’effet-Pygmalion et l’effet-Persée

Tous ces principes reposent en dernier ressort dans la certitude que tout enfant est éducable : c’est l’effet-Pygmalion qui consiste en ce que la confiance dans les capacités de l’enfant, en renforçant sa propre confiance en lui, l’aide considérablement à les mettre en Å“uvre.

Mais comment faire confiance à l’enfant, surtout à celui qui met son point d’honneur à vous défier, par sa résistance passive ou son insolence, sans une suffisante confiance en soi et comment se faire confiance sans un minimum de connaissance de soi ?

L’effet-Pygmalion ne va pas sans l’effet-Persée. Si le premier concerne l’élève le second concerne le maître.

Persée, dans la mythologie grecque, c’est l’introspecteur. Celui qui se regarde dans le miroir donné par Athéna, déesse de la sagesse .Ce miroir c’est la capacité de voir avec humour et sérénité ses propres faiblesses et celles des autres, et ainsi de prendre du recul par rapport à ses émotions et réactions immédiates. Et mobiliser au mieux ses forces.

Ces savoirs devraient faire partie des programmes au même titre que les connaissances académiques :

- Se connaître : prendre conscience de ses motivations ; de ce qui, en nous, freine ou encourage l’affirmation pondérée de soi, sans chercher à dominer ni se soumettre

- Gérer les conflits, sans les laisser dégénérer en violences (v. la proposition n°5)

« Dans le champ de l’éducation psycho-sociale, diverses approches proposent des outils de gestion et de médiation des conflits (notamment la « médiation par les pairs ») qui permettent au bien-vivre ensemble de ne pas rester un vÅ“u pieux mais de devenir un apprentissage au quotidien ».

- Comprendre comment les humiliations et les échecs engendrent le besoin de revanche ou les replis dépressifs, pour éviter de les provoquer et ainsi prévenir les violences et les abandons dont souffrent tant d’usagers de l’école.

L’effet-Persée c’est le fait que dans ces conditions, et à difficultés concrètes égales, comme le souligne A.Tarpinian : « L ‘enseignant exercé à l’attention à ses propres motivations et à l’empathie envers celles des élèves devient psychologiquement plus endurant parce que plus compréhensif » et donc plus heureux et plus efficace dans sa pratique professionnelle.

Pas plus que la pédagogie active n’est la panacée qui fera à coup sûr aimer l’école à tous les élèves, il suffirait de cet intérêt compréhensif pour que tous les problèmes de la classe soient résolus. Mais ce qui est sûr c’est que sans lui ils s’aggraveront.

C’est pourquoi la première des 13 transformations proposées ici concerne la formation des enseignants.

Un enjeu planétaire

« Ce ne sont pas, en effet, les bons savoirs ni les pratiques humanisantes qui manquent, mais leur reconnaissance et leur intégration dans les programmes de l’école et, par voie de conséquence, dans la société » lit-on p.71. Signalons à ce sujet qu’une PROPOSITION DE LOI relative à l’éducation à la résolution non violente des conflits a été déposée au Sénat.

Ne rêvons pas. On n’éradiquera jamais définitivement la violence. Mais on peut (et on doit) prendre les moyens d’éviter de la provoquer, de l’entretenir, de l’exacerber. Ces moyens passent en particulier par l’éducation psycho-sociale. Elle devrait commencer en famille, s’affirmer à l’école, (ce lieu où nous passons tous), et continuer à inspirer les relations humaines tout au long de la vie, la transformation des individus contribuant à la transformation des sociétés qui contribuent en retour au progrès des individus vers plus de fraternité. Initier ce cercle vertueux ou y participer s’impose à chacun de nous à son niveau de responsabilité.

Ce qui vaut pour la France, ne vaut-il pas pour tous les peuples ? L’enjeu est planétaire. Les apprentissages à la non-violence et les pratiques de coopération à tous les niveaux de la société ne sont-ils pas, plus que jamais, vitalement nécessaires ?

Maridjo GRANER

SOURCE Rencontre au Centre de prévention de la Mutuelle générale de l’éducation nationale ( MGEN, )à Paris le 8 Octobre 2011. Table ronde avec André Giordan, Maridjo Graner, Jacques Lecomte, Brigitte Liatard, Brigitte Prot.

Donner toute sa chance à l’école. Treize transformations nécessaires et possibles... Éditions Chronique Sociale, 2011, 96 p.,5 euros Commander en librairie ou en ligne

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