Paul Robert, mis en ligne le 9 septembre 2013.
Une version condensée de cette étude a été publiée dans Sciences Humaines de mai 2011.
Depuis le début des années 2000, les évaluations internationales PISA, ont propulsé la Finlande, sur le devant de la scène internationale pour les mérites de son système éducatif. Les jeunes finlandais de 15 ans obtiennent en effet des résultats remarquables tant en compréhension de l’écrit, qu’en mathématiques et en sciences, les trois domaines évalués tous les 3 ans par PISA. Cette régularité dans l’excellence en elle-même remarquable ne doit pas faire oublier d’autres caractéristiques du système éducatif finlandais qui ressortent des évaluations internationales : la Finlande est un des pays où les écarts de performance entre élèves sont le plus faibles et où l’impact des conditions socio-économiques sur leurs résultats scolaires est également plus réduit qu’ailleurs.
Le système éducatif finlandais apparaît donc aujourd’hui combiner l’excellence et l’équité. C’est le résultat d’une réforme à laquelle les finlandais s’attelèrent au début des années 70 avec l’ambition de faire entrer leur pays de plein pied dans la modernité. Ils s’étaient fixé alors comme objectif de donner à tous les jeunes finlandais de 7 à 16 ans l’opportunité de suivre un même cursus obligatoire de qualité égale. Le défi n’était pas mince dans un pays qui connaissait de fortes disparités de développement entre les régions et où une sélection précoce avait été jusqu’alors la règle. Pour réussir ce pari, il apparut évident aux réformateurs que rien ne pourrait se faire de solide sans l’adhésion des professeurs et sans leur participation active. De fait ils furent étroitement associés à toutes les phases de la réforme. L’autre clé de la réussite était l’élévation du niveau de qualification de tous les professeurs.
Avant la réforme de l’école fondamentale, la formation des professeurs du primaire était nettement distincte de celle des professeurs du secondaire.
Les contours en avaient été dessinés dans la deuxième moitié du XIXème siècle par le Jules Ferry finlandais, Uno Cygnaeus, pasteur protestant à la culture encyclopédique, et fondateur du premier séminaire de formation des enseignants du primaire à Jyvaskylä, en 1863. Profondément imprégné des théories pédagogiques de Rousseau et de Pestalozzi, et fortement impressionné par les jardins d’enfants de Hamburg qu’il avait pu visiter au cours d’un de ses nombreux voyages, il donna à l’école élémentaire des orientations fortes dont on peut encore aujourd’hui déceler la trace : place importante accordée au jeu dans les premières années, respect des rythmes d’apprentissage de l’enfant, dignité de l’éducation manuelle. Enfin Uno Cygnaeus considérait que l’école élémentaire devait être le creuset d’une société plus juste et plus égalitaire.
En ce sens on peut dire que les réformateurs des années 1970 ne firent que parachever l’œuvre de leur éminent prédécesseur en appliquant à l’ensemble du cursus fondamental les principes qui l’avait guidé pour l’école élémentaire. Pour mettre en œuvre cette réforme capitale, il leur apparut évident qu’il faudrait faire un effort massif en faveur de la formation des enseignants, avec un double objectif : rapprocher la culture professionnelle des enseignants du primaire et du secondaire et élever le niveau général de formation des deux corporations.
Le diplôme universitaire exigée pour tous fut la licence puis rapidement (fin des années 70) le master. La pédagogie, la connaissance de la psychologie de l’enfant et des théories de l’apprentissage gardent aujourd’hui une place prépondérante dans les masters d’enseignement des « professeurs de classe » (=professeurs d’école), le reste de leur cursus étant consacré aux différentes matières qu’ils auront à enseigner. Il faut noter que les étudiants peuvent choisir d’approfondir telle ou telle de ces matières afin d’être en mesure de les enseigner aux derniers niveaux de l’école fondamentale au même titre que des professeurs du secondaire. Par ailleurs dès leur première année de formation, les étudiants qui se destinent à devenir professeur d’école doivent accomplir des périodes de stage en passant graduellement, sous la supervision d’un enseignant chevronné, de l’observation à la pratique accompagnée.
Ces stages sont toujours mis en relation avec un apport théorique, ce qui habitue les futurs enseignants à avoir sur leur pratique un regard critique et une attitude réflexive. Ce lien étroit et précoce entre théorie et pratique est facilité par la présence d’écoles d’application sur chaque campus des facultés d’éducation. Les études des futurs professeurs d’école finlandais sont couronnées par la rédaction d’un mémoire professionnel qui leur ouvre les portes des études doctorales. De fait, les professeurs d’école sont de plus en plus nombreux à se lancer dans un troisième cycle d’études universitaires où ils choisissent généralement des sujets de recherche en relation avec les sciences de l’éducation.
L’importance accordée à la recherche dans la formation des professeurs d’école a pu paraître à certains excessive et inadaptée. Les professeurs d’école, disait-on, avaient surtout besoin de connaissances pratiques ; pourquoi les encombrer de théories inutiles et vouloir en faire des chercheurs ? En fait, le but est de donner à tous les professeurs les moyens de trouver eux-mêmes, grâce à une familiarité acquise avec la littérature scientifique, les réponses aux problèmes professionnels ils sont confrontés et de développer ainsi en toute autonomie leur propre manière de travailler.
Grâce à la solide formation professionnelle qu’ils ont reçue, les professeurs d’école sont considérés comme des experts auxquels on peut faire totalement confiance. Bénéficiant de cette aura très positive, la profession est très attractive, bien plus que d’autres pourtant plus rémunératrices. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les candidats au métier de professeur d’école soient particulièrement nombreux à se bousculer aux portes des facultés d’éducation : le taux d’attractivité de cette formation est de 15 candidats pour une place alors que toutes formations d’enseignants confondues, il est de 6 pour 1. La sélection se fait non pas à la sortie, comme chez nous, mais à l’entrée. Les candidats doivent présenter un dossier d’admission comportant une lettre de motivation et un CV. Une expérience d’au moins un an comme assistants d’éducation (qui ont en Finlande un rôle de soutien pédagogique et non pas de surveillance) est très appréciée. Ce que l’on cherche avant tout à évaluer chez les candidats, plus qu’une compétence académique, c’est l’intérêt réel pour les enfants. Après la première sélection sur dossier, les candidats retenus doivent subir un entretien devant un jury. Certaines facultés organisent des tests de groupe au cours desquels plusieurs candidats doivent débattre sur une question ayant trait à l’éducation. L’attitude des candidats, notamment leur capacité à écouter mais aussi à se faire écouter, la manière dont ils s’insèrent dans le groupe, comptent tout autant que les idées qu’ils défendent. Ceux qui passent avec succès le cap de cette ultime sélection, intègrent la formation de professeur d’école qui se déroule exclusivement au sein de la faculté d’éducation, contrairement aux professeurs du secondaires qui eux suivent généralement une formation disciplinaire avant de compléter leur cursus par au moins une année de formation pédagogique dans une faculté d’éducation. Dans les faits, les deux cursus tendent aujourd’hui à se rapprocher et de plus en plus d’étudiants se destinant au professorat dans le secondaire se déterminent assez tôt et suivent un cursus pédagogique en parallèle avec leur cursus disciplinaire.
Une fois leur master d’enseignement en poche, les professeurs doivent rechercher un poste dans une école. Il n’y a, en effet, pas de concours de recrutement garantissant un emploi à vie. Les titulaires du master doivent faire acte de candidature et ce sont les écoles qui les recrutent directement, généralement d’abord avec un contrat à durée déterminée. L’entretien d’embauche se passe devant une commission dont la composition peut varier, mais qui est toujours présidée par le chef d’établissement. A ses côtés peuvent siéger des enseignants expérimentés, mais aussi des parents d’élève et parfois un représentant de l’autorité locale. Le candidat est interrogé sur son parcours et sur ses motivations. Le projet d’établissement et le fonctionnement de l’école lui sont également présentés au cours de cet entretien. Ce dernier point n’est pas sans importance dans un contexte où chaque école jouit d’une très grande autonomie et peut donc avoir un profil, une organisation et un fonctionnement particuliers. Au bout d’un ou deux ans, si le professeur donne satisfaction, son contrat est pérennisé et il acquiert dès lors un statut de fonctionnaire territorial dépendant de la municipalité de rattachement de l’école. Son supérieur hiérarchique direct est le chef d’établissement. Notons à ce propos qu’il n’y a pas de différence de statut administratif entre les écoles élémentaires et les écoles secondaires. Dans bien des cas, d’ailleurs, les deux niveaux sont regroupés dans une même entité administrative et de plus en plus souvent dans les mêmes locaux, à l’image de cette « école du socle » que certains voudraient voir se réaliser en France.
Au sein des écoles, les professeurs jouissent de conditions de travail très satisfaisantes et d’une liberté pédagogique impressionnante.
Les effectifs par classe varient selon les écoles, et l’on peut encore trouver de toutes petites écoles rurales fonctionnant avec des classes multi-niveaux ne regroupant guère plus d’une quinzaine d’élèves. Dans les villes, les effectifs sont plus importants, 25 élèves / classe étant considéré comme une norme acceptable, mais les municipalités, qui gèrent leur budget d’éducation sans aucune contrainte, décident elles-mêmes des seuils pour le calcul des dotations aux établissements. Dans les faits, j’ai rarement vu des classes de plus de 20 élèves, mais avec la crise qui a touché la Finlande comme les autres pays développés, la tendance est plutôt à l’augmentation des effectifs, ce qui ne va pas sans inquiéter les professeurs.
Par ailleurs les salles de classes sont vastes, spacieuses et généralement très bien équipées avec tout le matériel pédagogique dernier cri. Les enseignants bénéficient également de lieux de repos accueillants et confortables et bien souvent d’espaces personnels de travail adéquats.
Mais le plus frappant est la grande liberté pédagogique qui est accordée aux professeurs. Du fait du haut niveau de leur formation professionnelle, il paraît évident qu’ils sont les mieux placés pour trouver les meilleurs moyens pour guider leurs élèves sur les chemins du savoir. Il ne viendrait, par exemple, à l’idée d’aucun ministre d’édicter des normes concernant les méthodes de lecture. L’idée même que cela puisse être possible sous d’autres latitudes suscite une curiosité un peu sceptique.
Tout comme l’idée que l’on puisse imposer la manière d’apporter une aide efficace aux élèves qui ont des besoins particuliers. Cela est du ressort exclusif de chaque école et de fait on constate que les solutions mises en œuvre peuvent varier considérablement d’une école à l’autre.
Au sein de sa classe, l’enseignant développe, dans la plus grande liberté, les méthodes qui lui conviennent. Aucune inspection ne viendra vérifier la conformité à une norme nationale, le corps des inspecteurs ayant été supprimé il y a une vingtaine d’années. La grande confiance qui est accordée aux professeurs fait que les relations de travail au sein de l’école sont collaboratives et participatives. Chaque école forme de ce fait une véritable communauté éducative qui tout en gardant toujours un regard sur les grands objectifs nationaux a toute latitude pour les traduire en objectifs opérationnels adaptés au contexte local. Cela va jusqu’à la rédaction des programmes. Ces derniers ne sont en effet définis que dans leurs grandes lignes par le Conseil National de l’Education. Il revient à chaque école de rédiger les programmes locaux qui fixent les progressions précises dans chaque matière. C’est là un travail considérable qui nécessite des heures de concertation. Certains jugent cette tâche harassante voire inutile. Dans les faits, cela permet d’adapter les exigences nationales aux élèves réels que les enseignants connaissent mieux que quiconque et de réfléchir aux chemins les plus propices pour les amener vers ce que l’on attend d’eux à la fin de l’école obligatoire.
Ce souci d’être en prise avec la réalité des élèves, déborde du cadre strictement académique. L’Acte sur l’Education Fondamentale de 1998 assigne comme objectif à l’éducation « d’aider les élèves à croître en humanité et à devenir des membres éthiquement responsables de la société et de leur fournir les connaissances et les compétences nécessaires à la vie. » Clairement, l’élève est considérée comme une personne en devenir et l’acquisition de connaissances et de compétences s’inscrit dans un processus de croissance plus global auquel l’école a pour mission de contribuer. Cette conception élargie des buts de l’éducation, qui entre fortement en résonnance avec les principes et valeurs de la psychologie humaniste, illustrée notamment par Abraham Maslow, a quelque chose de déroutant pour un ressortissant d’un pays où il n’est même pas encore admis de tous qu’instruire et éduquer sont indissociables. Certes la circulaire sur les missions du professeur de 1997 et l’arrêté 2006 modifié par celui de 2010 sur les compétences à acquérir par les professeurs, assignent à ceux-ci des objectifs professionnels plus larges que la simple transmission des connaissances. Mais de façon très caractéristique, toute dimension personnelle est gommée de ces textes : élèves comme professeurs y apparaissent comme des entités abstraites auxquels élèves et professeurs réels sont censés s’identifier.
Il est très éclairant de comparer ce texte (dans sa dernière version) avec le référentiel de compétences intitulé « Qu’est-ce qu’un bon professeur ? » en usage en 2006 à la faculté d’éducation de Joensuu. On retrouve dans ce document très synthétique l’essentiel des compétences du référentiel français. Mais on y trouve aussi des exigences très surprenantes pour nous : on attend du professeur qu’il soit une « personne complète », connaissant ses limites, assumant la responsabilité de ses sentiments, conscient de sa propre conception de la nature humaine et capable d’empathie. Bref une personne réelle, non pas une entité désincarnée n’existant que dans l’imaginaire administratif. Et cette personne accomplie (parce qu’assumant ses limites) est capable de reconnaître et de laisser exister la personne de ses élèves. Ceux-ci ne sont pas sommés de se conformer à un modèle préexistant mais sont invités à se construire en pleine conscience et acceptation de leur différence. La relation entre ces deux personnes réelles, celle du professeur et celle de l’élève, est de ce fait une relation authentique, fondée sur l’aide et l’encouragement (deux mots que l’on chercherait en vain dans le document français – sauf sous la forme assez administrative de « l’aide personnalisée »). Si je devais énoncer la différence qui me paraît la plus fondamentale entre les systèmes éducatifs français et finlandais, ce serait cette reconnaissance pleinement assumée de la dimension interpersonnelle de l’éducation. Chacun dans ce contexte est accueilli, accepté pour ce qu’il est vraiment et adhère de ce fait plus librement aux propositions qui lui sont faites de « croître en humanité », objectif qui intègre bien sûr l’acquisition de connaissances mais ne s’y résume pas.
L’école finlandaise est puissamment intégratrice parce que chaque enfant y a sa place et y est respecté dans son identité profonde. Cela a aussi sa traduction sur le plan des apprentissages. Dire que l’enfant est acteur de ses apprentissages, signifie accepter que tous les enfants n’aient pas le même rythme ni le même mode d’apprentissage, cela signifie aussi accepter qu’à tel ou tel moment l’enfant ne soit pas prêt à entrer dans un apprentissage. L’attitude typique du professeur finlandais par rapport à l’enfant indiscipliné, rebelle ou simplement rêveur, est d’attendre patiemment que celui-ci fasse de lui-même la démarche d’adhérer aux activités proposées. Quand il y est prêt, en revanche, toute la sollicitude et la bienveillance que le professeur avait mises volontairement en veilleuse se déploient pour accompagner l’élève dans sa démarche. Celui qu’on pouvait penser laissé de côté devient le centre des préoccupations et des attentions du professeur qui alors n’hésite pas à lui consacrer tout le temps nécessaire. Tous les dispositifs d’aide aux élèves dits « à besoins éducatifs spéciaux » qu’il n’est pas dans mon propos de décrire ici en détail, découlent de cette attitude d’acceptation profonde par l’enseignant finlandais de la personne de l’élève.
Une des choses les plus frappantes lorsqu’on discute avec des professeurs finlandais c’est le haut degré de satisfaction professionnelle qu’ils expriment, mais aussi leur très forte adhésion aux principes et aux valeurs du système dont ils font partie. Il n’y a pas en Finlande de « désobéisseur » parce que chaque professeur peut faire les choses comme il l’entend. Cela n’empêche pas d’ailleurs chaque professeur d’avoir le sentiment de participer à une entreprise collective dont il partage les objectifs. Je n’ai pas rencontré en Finlande de professeurs amers, déçus, désillusionnés. Je n’ai pas rencontré de professeurs qui ne croient plus aux valeurs intégratrices de l’école et à la possibilité de contribuer à construire, grâce à l’école, une société plus juste et plus équitable. J’ai rencontré des professeurs heureux, pleinement investis dans leur métier, conscients de la confiance que leur fait la société tout entière et de la responsabilité qui leur incombe en retour de guider chaque enfant vers le plein épanouissement de ses capacités.
La réussite exceptionnelle du système éducatif finlandais repose certes sur une savante architecture patiemment élaborée au cours de 40 années de réforme continue et cohérente. Mais rien n’aurait été possible sans la participation pleine et entière des professeurs. A tous les moments clés ils ont été impliqués, consultés et écoutés. Les professeurs d’école qui depuis longtemps bénéficiaient d’une solide formation pédagogique, ont été au cœur de la construction de l’école fondamentale. Même si les professeurs du secondaire ont toujours un statut différent et légèrement plus avantageux, le paradigme d’une professionnalité fondée sur une connaissance approfondie de la pédagogie et des sciences de l’éducation ancrée à une mise en pratique précoce et progressive, ce paradigme caractéristique de la formation des professeurs d’école finlandais, a gagné celle des professeurs du secondaire. Les deux cultures tendent de fait à se rejoindre pour donner à l’école fondamentale finlandaise une véritable unité.
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Paul ROBERT : Auteur de La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, ESF 2010 (3ème éd.)
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