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Le théâtre-forum : une approche pour développer les compétences relationnelles des enseignants

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Véronique Guérin, mis en ligne le 16 juin 2010.


On ne peut enseigner sans être en relation. Qu’il le veuille ou non, qu’il le sache ou non, l’enseignant est en relation avec ses élèves mais également avec ses collègues et les parents et se retrouve également à gérer les relations entre les élèves. Quand on aborde cette dimension relationnelle, les enseignants craignent parfois qu’on ne leur demande de devenir psychologues, assistants sociaux ou rééducateurs. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. La confusion vient du fait que, dans notre culture, la dimension relationnelle est souvent réduite à sa partie thérapeutique. Or, le développement relationnel et la thérapie sont deux domaines différents et complémentaires comme le sont l’enseignement de la lecture et l’orthophonie.

Les compétences relationnelles s’apprennent au même titre que la lecture ou l’écriture. Enseignées depuis de nombreuses années au Québec, aux Etats-Unis ou encore en Europe du Nord, elles font l’objet de nombreuses études et classifications. Dans nos formations pour les enseignants, nous nous centrons sur l’acquisition des compétences suivantes :

  • La relation avec soi-même : Etre conscient des sensations, émotions et pensées qui me traversent et être capable de les exprimer de façon adaptée et claire,
  • La relation duelle : Ecouter les sensations, émotions et pensées des autres sans juger ni se laisser manipuler, s’affirmer sans agresser, passer de l’opposition au dialogue,
  • La relation d’autorité : développer une présence rassurante, frustrer sans violenter, contenir physiquement et psychiquement,
  • La relation au groupe : développer l’écoute d’un groupe, favoriser une dynamique de coopération, transformer des tensions ou crises en occasions d’évolution, utiliser le groupe comme support des apprentissages.

Comment peuvent s’acquérir ces compétences relationnelles ? Du fait qu’elles intègrent une dimension physique et émotionnelle, la lecture d’ouvrages ou la participation à des conférences ou à des formations théoriques se révèlent peu efficaces. En effet, en situation de stress ou de conflit, on se retrouve vite à agir ou à parler comme si l’on était « hors de soi » : le cerveau cognitif (neo-cortex) est pris de vitesse par le cerveau émotionnel (limbique) qui prend les commandes et impulse des actions avant même qu’on ait le temps de réfléchir. Les conflits se terminent souvent mal et participent à la crispation de positions de chacun.

Pour aborder cette dimension relationnelle, il se révèle plus efficace d’utiliser des méthodes qui impliquent le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel plutôt que de compter sur l’argumentation auquel le cerveau émotionnel est assez peu perméable. En rejouant des situations conflictuelles non résolues (un élève m’a insultée et j’ai perdu le contrôle de moi-même), nous prenons conscience de nos émotions (sentir la colère ou la peur émerger) et de nos sensations (je tremble, j’ai le cÅ“ur qui bat plus vite…). Cette présence à soi-même permet de mobiliser ses ressources internes pour chercher des alternatives à la violence. C’est pourquoi, pour former les enseignants, nous utilisons l’approche du théâtre-forum : on joue des situations que les enseignants perçoivent comme problématiques, des conflits qui se terminent mal puis on explore des attitudes innovantes grâce au remplacement d’un personnage de la scène par quelqu’un du public. Le spectateur devient « spect-acteur » !

À l’origine du théâtre-forum : Augusto Boal

Né au Brésil en 1931, Augusto Boal est dramaturge, écrivain, théoricien, metteur en scène. Il a inventé de multiples formes de théâtre qui furent d’abord une réponse à la répression politique qui s’abattait alors sur le Brésil, son pays d’origine. Son action théâtrale et son engagement citoyen fédèrent un large mouvement à travers le monde. Chaque pays adapte, à sa façon, ces techniques à son environnement social.

Les principes de base du théâtre-forum

Le premier principe de base du théâtre-forum consiste à aborder une problématique collective dans laquelle se retrouve un ensemble de personnes. Le théâtre-forum est, comme l’exprime A. Boal le théâtre de la première personne du pluriel : « Nous avons un problème, nous vivons une situation que nous ne supportons plus ». L’histoire jouée est élaborée à partir d’un problème évoqué par une communauté qui se retrouve en conflit avec son entourage. La communauté ne voit pas d’issue à ce conflit, mais souhaite que la situation se dénoue car elle lui est inconfortable voire insupportable. Ce peut-être une situation amenée par une personne et dans laquelle se retrouve une communauté : par exemple, une enseignante fait part de son désarroi face à l’agressivité des élèves et des parents à son égard. Les autres enseignants acquiescent et reconnaissent cette problématique comme étant également la leur. Le théâtre-forum met en scène cette problématique non pas pour donner des réponses, conseiller ou orienter le débat dans une direction mais pour donner un support concret de réflexions et d’échanges.

Le deuxième principe de base du théâtre-forum concerne la manière dont l’évolution de la situation est appréhendée. Le théâtre-forum ne fait pas disparaître de façon magique les difficultés mais invite la personne qui ne supporte plus une situation à trouver les ressources en soi et autour de soi pour en sortir. La seule personne que l’on peut changer, c’est soi-même : son regard sur soi, sur les autres et sur le monde et son attitude dans la situation. Les autres changent par rebond. Quelle que soit la situation que l’on vit, que l’on ait le rapport de forces ou non, que l’on soit au cÅ“ur du conflit ou témoin du conflit, on a toujours de la marge de manÅ“uvre pour changer quelque chose. Chaque participant est donc invité à se poser la question : « Qu’est-ce que je ferais si j’étais au cÅ“ur de cette situation ? ».

Le troisième principe de base du théâtre-forum concerne l’impact du groupe sur le développement individuel : la personne fait évoluer son regard sur une situation en entendant les points de vue des autres participants et fait évoluer ses attitudes en voyant d’autres manières de faire. À aucun moment, l’animateur ne cherche à contredire un participant, au contraire il écoute son propos sans préjuger de sa pertinence, encourageant ainsi chacun à s’ouvrir à d’autres interprétations de la situation. La rencontre de ces différents points de vues permet à chacun d’élargir son champ de vision en passant d’une vision unique et réductrice à une vision plus complexe.

Le déroulement du théâtre-forum

Le théâtre-forum se déroule en trois étapes : la mise en situation, le forum, le remplacement du personnage.

La mise en situation

Une situation s’inspirant de situations réelles et représentative de la problématique collective est jouée par des comédiens si le public est nombreux, ou par les participants eux-mêmes si c’est un groupe restreint de formation ou d’analyse de pratiques (moins de 20 personnes). Cette scène se termine mal pour au moins un des protagonistes.

Le forum

Une fois la scène jouée, chacun est invité à s’interroger sur :

  • ce qu’il a observé dans cette scène (que raconte cette histoire ?),
  • ce qu’il a ressenti ou pensé en voyant cette scène,
  • ce que les protagonistes ressentent de l’intérieur : l’enseignante peut avoir éprouvé de la peur et l’envie de partir qui se confrontait avec sa conscience professionnelle lui intimant de rester, l’élève peut avoir ressenti le plaisir de décharger sa colère, sa frustration ou un sentiment d’injustice.

Le formateur écoute et reformule les différents points de vue. Il tente, grâce à la mise en lien des différentes interprétations, de transformer des jugements et des projections en expressions de ses propres valeurs. En juxtaposant les différentes perceptions, il invite chacun à élargir sa vision du monde. Puis il favorise l’émergence de propositions concrètes d’attitudes jusqu’à ce qu’un spectateur accepte de monter sur scène pour remplacer un personnage.

Le remplacement

Du fait de la nouvelle attitude du spectateur, les autres personnages réagissent différemment et l’histoire prend un autre cours. Le théâtre-forum met en Å“uvre l’approche systémique ! À la fin du remplacement, le formateur demande aux spectateurs les changements observés de l’extérieur Parfois, le public a l’impression que rien n’a changé, et c’est exact en termes de faits ou de résultats mais en fait le changement est en train de se mettre en Å“uvre à l’intérieur des personnages. Il interroge alors les personnages sur leurs états intérieurs et les changements qu’ils perçoivent à l’intérieur d’eux-mêmes.

Puis l’animateur cherche à synthétiser en quelques phrases les apports de l’intervention mais aussi les questions, les risques ou les enjeux qu’elle amène. L’objectif est d’impulser d’autres propositions pour que s’installe progressivement une dynamique de recherche collective.

Ce que le théâtre-forum fait travailler

L’objectif de cette approche n’est pas de chercher la bonne solution, la recette miracle qui conviendrait à tous dans toutes situations. Il s’agit plutôt de développer sa capacité de présence et d’évaluation dans une situation stressante : à quelle distance est-ce que je me sens bien ? est-ce que j’arrive à entendre ce que me dit l’autre ? est-ce que j’arrive à respirer ? est-ce que je me sens en danger ? Quels mots pourrais-je dire ?

Les effets de ses attitudes sur les autres et sur l’histoire sont expérimentés in vivo, sans risque pour soi, pour l’autre et pour la relation puisque ceci est du jeu. Cette approche s’apparente à une formation pour pilote d’avion à base d’un simulateur de vol…

Les participants développent :

  • Leur capacité d’introspection qui permet de mettre en lumière, sans honte ni culpabilité, les pensées, émotions et sensation qui les traversent,
  • Leur capacité de décentration qui consiste à mieux entendre et prendre en compte le ressenti et le point de vue des autres.

Au-delà de la technique, c’est une transformation de l’attitude intérieure, du regard sur l’autre et sur soi-même qui est progressivement amenée. Cette approche se différencie du psychodrame par le fait que le formateur ne cherche pas à travailler les raisons des blocages ou des représentations inadéquates mais seulement à les rendre conscientes. Les émotions qui émergent sont accueillies avec empathie et l’on évite d’aborder des situations trop douloureuses ou personnelles qui dépasseraient le cadre de ce travail et relèveraient plus de la thérapie.

Le formateur doit être capable de :

  • Poser un cadre sécurisant favorisant l’écoute et le respect entre les participants,
  • Reformuler tous les points de vue sans les juger
  • Impulser une dynamique d’implication pour inciter les participants à prendre le risque de jouer,
  • Valoriser les propositions faites, les changements obtenus tout en interpellant sur leurs risques et limites.
  • interpersonnels ou sociaux et les attitudes susceptibles de dénouer les blocages de façon constructive pour soi et son entourage.

Les participants éprouvent souvent de l’appréhension à se mettre en jeu mais reconnaissent majoritairement que ces séances de formation ont été déterminantes dans leur évolution relationnelle. L’utilisation de mises en situation en formation nécessite de la maîtrise et du tact, de l’écoute et de la confiance car cette approche implique fortement les stagiaires et travaille plus en profondeur les peurs et les résistances. C’est pourquoi il est essentiel d’acquérir au préalable une formation afin d’appréhender cette approche dans toutes ses dimensions et de l’utiliser avec justesse.


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