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Quand les ados apprennent la non-violence au collège

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Brigitte Liatard, mis en ligne le 27 juin 2011.

Jessica et Ludivine sont en 5ème SEGPA. Elles témoignent ensemble :

Ludivine : “Au début, dans la cour on commençait à se disputer et tout ça … après on s’est engueulé et on se disait de gros mots et après il y a un groupe de filles qui est venu dans le CDI et elles m’embêtaient. J’ai été voir Madame Roussier, je lui ai dit ce qui se passait et elle m’a dit qu’on allait faire une médiation et après on s’est expliqué avec Jessica. ”

Jessica  : “Je ne sais pas… j’avais envie de la taper, alors je la tapais quand j’en avais envie. Quand je voulais la défendre, je la défendais mais c’était rare que je la défendais : c’était plutôt que je la tapais. Après elle est allée demander une médiation donc je suis montée. On s’est expliqué et puis maintenant on s’entend hyper bien. On a à peu près les mêmes problèmes donc je peux parler avec elle : c’est une copine à moi, voilà. Et maintenant, on s’entend hyper bien : on mange tout le temps ensemble, on est tout le temps ensemble à la récré, on s’entend bien. ” Sourire complice adressé à Ludivine.

Du côté des médiés

Violence gratuite, insultes, coups, et puis la naissance d’une amitié : on a peine à y croire. Pourtant dans le DVD “Mission Médiation”1 une douzaine de jeunes a insisté pour témoigner : embrouilles, exclusion, moqueries, affrontement entre bandes rivales…, ils disent pourquoi ils ont eu recours à des médiateurs et ce que cette médiation leur a apporté. Ils racontent combien cette expérience les a marqués au point qu’on retrouve beaucoup d’anciens médiés chez les nouveaux médiateurs. Quand on connaît les adolescents, on a envie de s’interroger, de les interroger sur les raisons pour lesquelles ils font ce choix de s’adresser à des camarades de même âge ou plus âgés, plutôt qu’à des adultes.

Après quinze ans de suivi d’une expérience de médiation par les pairs née en 1993, on peut commencer à avancer certaines explications. Mais il faut déjà préciser que la médiation n’est pas une alternative à la sanction : “on a passé la semaine entre le bureau du principal et la médiation” raconte Mohamed, élève de 3ème, mêlé à l’affrontement de bandes rivales ; ainsi la médiation peut faire suite à la sanction pour recréer du lien et éviter le sentiment d’injustice qu’accompagne parfois certaines décisions prises par les adultes.

On sait combien les adolescents se confient leurs problèmes et leurs souffrances et il paraît logique de permettre aux jeunes de régler eux-mêmes leurs difficultés relationnelles. “Cela m’a semblé enthousiasmant de faire régler les problèmes de violence par les élèves qui la génèrent” explique Madame Thibault, principale du collège Georges Brassens à Persan (95). Tous les éducateurs constatent que, dès la maternelle, certains enfants ont des compétences réelles pour écouter, calmer le jeu et que le rôle des adultes peut “seulement” consister à reconnaître de façon institutionnelle la fonction de ces jeunes et à les rendre plus compétents par l’apprentissage de quelques techniques autour de l’écoute et de la reformulation.

“Petit problème”, “c’est pas grave” ont parfois tendance à répondre les adultes débordés par la multiplicité des tâches dans un établissement scolaire. Où se situe la gravité ? L’insulte ou la moquerie risque d’empoisonner la journée de l’élève qui va déprimer ou préparer sa revanche. Non réglé, ce petit conflit risque de dégénérer et d’empoisonner la vie de la clase, comparable à l’incendie qui devient difficile à maîtriser s’il n’a pas été éteint à ses débuts.

Votre navigateur ne gère peut-être pas l’affichage de cette image. Aspect premier : le processus de la médiation par les pairs sauve la face, préoccupation essentielle à l’âge de l’adolescence. Par sa recherche d’une solution gagnant-gagnant, la médiation refuse l’état victimaire, permet de sortir de la salle de médiation la tête haute et pourquoi pas réconciliés, si la durée de la médiation a été suffisante. Car rien de magique dans une médiation, la charte élaborée en 1995 par des collégiens de 4ème, est très claire.

La véritable solution est entre les mains des médiés et s’ils quittent la médiation en ayant pris la décision de ne plus se parler alors qu’ils y étaient rentrés en s’insultant, cette première étape n’est-elle pas déjà un succès ? Sans doute faudra-t-il un peu plus tard une autre médiation …. Enfin, si des collégiens acceptent de venir en médiation, c’est qu’ils sentent intuitivement qu’ils peuvent tirer quelque chose du conflit qu’ils traversent, que cette rencontre va les aider à comprendre ce qui s’est passé, leur permettre de se maîtriser en apprenant à mieux se connaître, à découvrir les mécanismes du vivre ensemble, “j’ai appris à mieux me disputer” confiait Juliette en 5ème et Mickaël, mêlé à une bagarre entre 3èmes, expliquait avec un large sourire “maintenant on est devenu amis, on joue au foot ensemble, on n’a plus besoin des coups pour régler nos problèmes, on les règle par la parole…”

Du côté des adultes

N’abandonnent-ils pas leur rôle ? Ne confient-ils pas une charge trop lourde à des collégiens qui risquent d’être dépassés ? Moqués ? Ou à l’inverse de se prendre pour des justiciers ? Inquiétude bien légitime à laquelle répond le sous-titre du DVD Mission Médiation : “des jeunes luttent contre la violence, des adultes accompagnent. ”

Pour des adultes qui ont choisi de travailler dans l’institution scolaire en tant que chef d’établissement, enseignant, CPE, membre du personnel de santé, encadrement administratif, de service ou encore surveillant et qui croient à leur rôle éducatif, qui veulent préparer les jeunes à une vie d’adultes responsables, la charge est lourde mais passionnante.

Ce sont tout d’abord eux qui vont former les adolescents après avoir participé à un stage de trois jours, stage fédérateur pour l’équipe éducative. Le volontariat, lié à une certaine remise en question des participants qui vont eux-mêmes passer par les étapes qu’ils feront ensuite franchir aux jeunes, est indispensable. L’objectif de ces journées est de rendre l’équipe éducative autonome, c’est-à-dire de la préparer à former au cours d’une quinzaine d’ateliers, les jeunes à la gestion non violente des conflits puis pour les plus motivés à la médiation par les pairs.

La méthode est ludique : à travers les valeurs de la non violence (respect, coopération, humour, confiance, créativité…), les jeunes vont apprendre à se connaître, à mieux connaître les autres, à observer puis à réfléchir autour de la banalisation des violences, à analyser leur façon de réagir dans les situations difficiles, à écouter l’autre pour mieux communiquer, à constater que l’on peut être deux à avoir raison, à développer leur créativité pour trouver d’autres issues au conflit, à chercher ensemble, à travers des mises en situation, des solutions à leur différends…

Ces ateliers passionnent les adolescents très demandeurs dans ces domaines : contrairement à certains pays, la connaissance de soi et le développement des compétences psycho-sociales ne font pas partie des programmes scolaires2 et il faut trop souvent attendre la classe de terminale ou certaines sections destinées à la vente, pour les travailler. Puis, dans une dernière étape, après avoir expérimenté eux-mêmes l’intérêt de l’apprentissage à la gestion non violente des conflits, les collégiens ou les lycéens volontaires se forment aux techniques de la médiation et se préparent, par équipe de deux ou trois, à proposer leurs services à leurs camarades.

Le rôle es éducateurs est alors essentiel puisqu’il s’agit, après avoir formé les jeunes, d’informer l’ensemble de l’établissement scolaire de la présence des médiateurs. Cette information est à faire auprès des adultes mais aussi des collégiens par tous les moyens possibles : de façon très officielle par le principal et à tous les élèves avec présentation des médiateurs, avec passage dans chaque classe des médiateurs qui répondent aux questions, avec affiches (“J’apprends à être médiateur”, diffusée par Non Violence Actualité), projections, réflexion autour du questionnaire “aider ou balancer”, du thème de la confidentialité et de la loi du silence….

C’est ensuite aux adultes, en lien avec les médiateurs, de choisir le local où se dérouleront les médiations à distance des lieux de conflit, de constituer les équipes de médiateurs, de décider du mode de reconnaissance des médiateurs, des horaires des médiations (récréations, heure du déjeuner, fin de journée …)

Lancement de la médiation

Le lancement de la médiation inquiète en général les adultes plus que les médiateurs eux-mêmes qui aspirent à expérimenter ce qu’ils ont appris. Les quelques moqueries des premiers jours, les refus d’aide, bref les résistances rencontrées les touchent peu dans la mesure où ils y ont été préparés et qu’ils savent qu’elles existent de la même façon dans le monde adulte. Ils savent aussi qu’ils ne sont pas seuls : médier à deux ou trois est rassurant, les tempéraments se complètent et les éducateurs sont là pour les accompagner : leurs noms sont inscrits en salle de médiation, des visites rapides sont rassurantes et surtout la rencontre de supervision tous les quinze jours permet de partager joies et éventuelles difficultés, de consulter les fiches remplies après chaque médiation (sans le nom des médiés puisque le principe de confidentialité est essentiel) et de lancer des projets divers (interventions auprès de structures intéressées, rencontres avec des journalistes, invitations3, voyages4…)

Quand on a la chance de rencontrer des jeunes médiateurs, on est souvent surpris par leur aisance et tenté de se demander si ce jeune n’était pas un médiateur né, s’il n’y a pas un profil type du médiateur. Plus de 2000 élèves, de niveaux scolaires variés, collégiens ou lycéens, ont déjà choisi cette fonction pour quelques semaines ou pour quelques années…, pour certains il y avait l’espoir de “gommer sa timidité”, de “contribuer à une meilleure ambiance dans l’établissement”, d’“aller à la rencontre de camarades” qu’ils ne connaissaient pas, “d’être reconnu”… et surtout pour tous, la volonté d’aider les autres5 dans une société qui propose peu de responsabilités à une adolescence qui déborde d’énergie.

Certains se projettent déjà dans l’avenir “plus tard, on pourra arrêter les conflits”, “c’est important partout mais surtout quand on sera adulte, avec les enfants” et analysent avec lucidité comme Leila “j’ai changé mon comportement, je pratique en dehors du collège… j’essaie de comprendre l’autre, de me mettre à sa place” ou Tafsir “cela permet de mieux se connaître, d’aller vers celui qui est en conflit” et tous pourraient se reconnaître dans les paroles de Sébastien “c’était mon premier conflit, j’étais fier de moi. ”

Fiers de leur travail, ils peuvent l’être, car, même si les médiateurs ne sont pas des élèves modèles, même s’il arrive à certains ou certaines de se battre encore (“mais, je vous assure, Madame, je ne me bats plus qu’une fois ou deux” expliquait Kevin, médiateur en 6ème), certains médiateurs suscitent chez leurs camarades une admiration telle que certains disent, en toute franchise, avoir bien envie de leur ressembler. Les médiateurs, leaders positifs ? La médiation, contrepoids au caïdat ? Ce qui était alors une hypothèse, devient une constatation au fil des années quand on voit collégiens et collégiennes s’efforcer de convaincre le lycée dans lequel ils sont entrés d’aborder autrement les conflits.

Bagages d’école

Beaucoup d’anciens médiateurs, devenus adultes, le disent comme Blandine à Mantes, “je garde un bon souvenir de ces moments forts, le plus difficile c’était de se lancer dans la cour, on était les premiers et il fallait faire face au regard des autres mais j’ai appris à prendre du recul et à aller vers les autres. C’est important pour moi qui me prépare à être sage-femme” ou Yasmina “avec la médiation, j’ai pris confiance en moi… j’ai appris à écouter et je suis devenue déléguée… j’ai appris comment on peut avancer dans les conflits…”.

On ne peut qu’être admiratif devant tant d’enthousiasme de la part des jeunes et devant la ténacité des équipes éducatives qui luttent pour lancer ou maintenir dans leur établissement l’apprentissage à la gestion non violente des conflits et à la médiation : les obstacles sont nombreux, liés à notre histoire : culture du conflit et de la compétition plus que de la coopération, culture de l’immobilisme6 avec son cortège de peurs : peur du changement, de donner la parole aux élèves, de se montrer vulnérables, de se remettre en question….

Peurs justifiées sans doute, les jeunes que nous formons, qui se forment à la non violence, deviennent des adultes exigeants, pour eux et pour les autres, des adultes qui ont des convictions et qui poursuivent l’engagement de leurs jeunes années. Et ils nous renvoient la question : “quelles adultes voulons-nous préparer ?” Comment résonne en nous la phrase de Lucie et Raymond Aubrac, résistants de la première heure : “nous devons former des citoyens pleins et entiers, prêts à désobéir à des ordres pour obéir à des valeurs”.


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