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Les compétences socio-émotionnelles : pourquoi elles sont essentielles aux élèves

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Nathalie Anton, mis en ligne le 10 décembre 2018.

Au cours des six années passées au Lycée Français de New York de 2012 à 2018, j’ai eu la chance de voir naître un programme dédié au bien-être des élèves, puis la responsabilité de le développer. Pour la première fois de ma carrière, le bien-être des adolescents ne passait plus après les résultats scolaires ou le respect du règlement intérieur, mais devenait le maître-mot de profonds remaniements pédagogiques et structurels. Il va sans dire que le fait qu’il s’agisse d’un établissement privé doté de moyens très conséquents et ayant la main sur le recrutement des personnels a grandement accéléré leur mise en place. Très rapidement, les enseignants ont ainsi bénéficié de nombreuses journées de formation, leur salaire a été revalorisé, leurs emplois du temps et ceux des élèves de collège et lycée ont été modifiés, et un nouveau temps d’échange entre élèves et adultes a pu voir le jour : celui de l’advisory.

Ce temps a été remanié plusieurs fois en 6 ans, en fonction des retours d’expérience des membres de la communauté scolaire, et il est probable qu’il se modifie encore dans les années à venir, pour toujours mieux répondre aux besoins des élèves. Voici comment il se décline au moment où j’écris ce texte : Chaque classe de collège et chaque classe de lycée se voit respectivement attribuer à l’année trois ou deux professeurs référents (ou advisors). Je précise que, dans la mesure du possible, l’advisor n’est pas un enseignant des élèves qu’il prend en charge cette année-là, afin d’éviter les conflits d’intérêt. Trois fois par semaine, il rencontre son petit groupe de 8 à 12 élèves, sur des créneaux inscrits dans l’emploi du temps : une heure en groupe entier, et deux matins avant le début des cours pendant un quart d’heure, tous ensemble ou individuellement.

En quoi ces temps consistent-ils ? Ceux de 15 minutes permettent principalement de s’assurer que tout se passe bien, de transmettre des informations, et de discuter en tête à tête en cas de besoin. Le créneau d’une heure poursuit plusieurs objectifs.

D’abord, gérer les problématiques de classe : rappels administratifs, élection des délégués, préparation des conseils, réflexion sur l’orientation… Ensuite, offrir un temps pour les actions d’éducation à la santé, menées soit par des professionnels, soit par les advisors (par exemple, discuter de l’impact du manque de sommeil sur la qualité des apprentissages et la santé, ou encore de l’importance du petit-déjeuner et d’une alimentation équilibrée…). Enfin, discuter sans jugement des difficultés potentielles ou avérées rencontrées par les élèves, sur les plans relationnels (comment résister à la pression des pairs, faire preuve d’assertivité, exprimer un ressenti négatif sans blesser son interlocuteur…) et émotionnel (gérer son stress, son agacement ou son agressivité, savoir différer l’envie de gratification immédiate…).

A travers ces trois axes, l’advisory cherche à aider les jeunes à développer des « compétences sociales et émotionnelles », dont l’influence positive sur le bien-être et la scolarité est avérée. Celles-ci recouvrent le champ des « compétences psychosociales », dont elles sont synonymes, mais le terme anglo-saxon semble plus adapté au milieu scolaire, tant les émotions sont prégnantes et jouent sur la qualité des apprentissages : on apprend mieux quand sa curiosité est éveillée ou quand on se sent en sécurité, et beaucoup moins bien quand on a peur ou qu’on se sent rejeté.

L’organisation nord-américaine Collaborative for Academic, Social and Emotional Learning (CASEL) étudie précisément l’impact des compétences socio-émotionnelles à l’école depuis plus de 20 ans. Elle les classe en cinq grands domaines :

  • • La connaissance de soi : la capacité à reconnaître ses points forts et ses points faibles, à affiner ses centres d’intérêt, à définir des buts, à déterminer ses valeurs, à identifier ses émotions et en saisir le lien avec les pensées et les actes…
  • • La maîtrise de soi : la capacité à réguler ses émotions et ses comportements, à se fixer des étapes réalistes pour atteindre ses objectifs, à organiser son emploi du temps, à persévérer en différant les distractions ou gratifications immédiates…
  • • Les compétences relationnelles : la capacité à écouter attentivement et s’exprimer clairement, à éviter ou résoudre les conflits, à résister à la pression des pairs, à travailler de manière collaborative, à rechercher de l’aide en cas de besoin…
  • • La prise de décisions responsables : la capacité à peser le pour et le contre, à identifier les conduites à risques, à anticiper les conséquences de ses actions pour soi-même et pour autrui…
  • • La conscience sociale : la capacité à comprendre et respecter les règles, à se mettre à la place d’autrui, à reconnaître les facteurs de discrimination, à s’engager dans une cause sociale…

L’enseignant qui devient advisor aborde ainsi des sujets qui sortent du cadre de sa discipline et de son champ de maîtrise. C’est pourquoi il doit être impérativement formé, d’autant plus que ces compétences ne se transmettent pas de manière verticale : l’advisor est en effet davantage un facilitateur de discussion que le détenteur d’un savoir, et cette position peut s’avérer au départ inconfortable.

Promouvoir le développement des compétences socio-émotionnelles entraîne nécessairement une transformation de la relation professeurs-élèves. Celle-ci devient plus personnalisée, plus soutenante et bienveillante. Les échanges sont plus authentiques, car détachés de toute évaluation et en prise avec les défis présents et à venir des élèves. Le fait d’accorder à leur sécurité physique et affective la même attention qu’à leurs performances scolaires améliore in fine, l’ensemble du climat scolaire et leur disponibilité pour les apprentissages. Les recherches montrent ainsi que les établissements qui travaillent de manière explicite sur les compétences socio-émotionnelles voient chez leurs élèves les problèmes de comportements, d’absentéisme et de souffrance psychologique diminuer, et les résultats scolaires augmenter. Sur le long terme, ces compétences réduisent les chances de s’engager dans des conduites délinquantes ou à risques, favorisent le bien-être psychologique ainsi que l’insertion dans la vie professionnelle et sociale.

L’Education nationale a conscience des vastes bénéfices qu’elles engendrent, puisqu’elles apparaissent disséminées dans le « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », dont le but est de fournir les bases permettant à tout élève de « réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen. »

Toutefois, en ne dégageant pas de temps ni dans l’emploi du temps des élèves ni dans la formation des professeurs pour favoriser leur acquisition, les compétences socio-émotionnelles restent trop souvent dans l’ombre au détriment de tous, alors même qu’il serait si souhaitable de les développer. Quelles solutions s’offrent alors aux établissements scolaires qui n’ont pas les mêmes ressources que le Lycée Français de New York ?

D’abord, faire sortir ces compétences de l’implicite, marteler leur importance, et faire du bien-être des élèves un axe prioritaire du projet d’établissement. Une enquête de climat scolaire peut être ainsi menée en amont, afin de recueillir le vécu et le ressenti des jeunes à propos des espaces, du règlement intérieur, des relations aux apprentissages, aux pairs et aux adultes de l’établissement. En parallèle, les éducateurs peuvent être sensibilisés aux signes du mal-être à l’adolescence, aux principales sources de stress à cet âge, et être informés des conduites à tenir en amont et en aval.

Un programme d’éducation à la santé explicite, cohérent et volontariste doit par ailleurs être mis en place, avec, par exemple, des thèmes prioritaires par niveau (l’alimentation et le sommeil en 6e, la puberté et le tabac en 5e, le sommeil et la sexualité en 4e, l’alcool et les autres drogues en 3ème). Idéalement, il faudrait que les messages de prévention soient portés par tous les membres de la communauté scolaire, et pas seulement par des organismes extérieurs, pour éviter de donner l’impression -fausse- que ces sujets n’intéressent pas tous les éducateurs, et que les élèves ne peuvent pas se tourner vers eux en cas de besoin. Les infirmier.ères, CPE, AED, mais aussi les enseignants, devraient s’en emparer et les parents devraient être informés des actions menées, et invités à des temps d’information et d’échange. Quant aux élèves, loin d’être passifs sur ces questions, il peuvent organiser eux-mêmes des campagnes de prévention à destination de leurs pairs.

De manière générale, il convient de valoriser l’implication des élèves dans des projets, qui, en plus de stimuler souvent leur motivation, renforcent l’acquisition des compétences socio-émotionnelles. A travers leur réalisation, les jeunes apprennent ainsi à collaborer, s’écouter, s’exprimer, se maîtriser, s’affirmer, planifier ou s’entraider. On pense bien sûr aux Enseignements pratiques interdisciplinaires, mais d’autres actions sont envisageables : tutorat à destination des plus jeunes, des nouveaux arrivés ou de camarades en difficulté ; transmission de connaissances et de compétences d’une classe à l’autre ; engagement dans la vie citoyenne de l’établissement et dans des actions d’intérêt général…

Les enseignants doivent bien sûr mettre en place les conditions qui rendent possible et fructueux ce travail d’équipe (composition réfléchie des groupes, élaboration d’un planning de travail, points d’étapes, travail sur l’écoute et la communication...). Attentifs au ressenti des élèves, ils cherchent à susciter des émotions favorables aux apprentissages et au bien-être (plaisir, curiosité, sérénité) plutôt que celles qui les desservent (anxiété, colère, ennui). Dans cette optique, la mise en valeur des points positifs et des progrès permet de créer un climat de classe plus rassurant et engageant que le pointage systématique de l’erreur.

On le voit, cette longue énumération de pistes possibles pour promouvoir les compétences socio-émotionnelles ne fait que lister des actions déjà mises en œuvre par de nombreux enseignants. Cependant, pour que ces actions ne restent pas ponctuelles et disparates, une impulsion forte de la hiérarchie conjuguée à une adhésion de tous les éducateurs est nécessaire pour leur donner de la consistance et de la cohérence. Car à trop se focaliser sur les programmes et les résultats aux examens, on en oublie trop souvent l’adolescent sous l’élève, le premier étant encore soupçonné de venir perturber le second… Mais les deux sont bien sûr indissociables. Et pour aider les jeunes à construire une vie relationnelle et émotionnelle saine et harmonieuse, -et par ricochet, les aider à adopter une meilleure disposition vis-à-vis des apprentissages-, les jeunes ont besoin d’autres compétences que les aptitudes purement cognitives. Inscrire au même titre l’acquisition des compétences socio-émotionnelles à l’école équivaut ainsi à considérer les élèves comme des individus à part entière, à les accompagner dans leur processus de développement et à assumer pleinement la mission éducative de l’école.

Notes : Nathalie Anton a dirigé pendant quatre ans un programme destiné au bien-être des élèves au Lycée français de New York. Enseignante depuis 20 ans, elle est également psychologue. Elle est l’auteure des ouvrages "Le Potentiel caché de votre ado" (Eyrolles, 2018), "Non, votre ado n’est pas feignant" (Eyrolles, 2017) et "L’Art d’enseigner" (LeWebPédagogique, 2012), ainsi que du blog « Conseil et accompagnement scolaire » (accompagnement-scolaire.net)


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