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Pour une autorité humanisante

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Paul Robert, mis en ligne le 13 mars 2014.

Paul ROBERT

Comment favoriser l’éveil d’une conscience ?

La conception que l’on a de l’homme influe de façon déterminante sur la visée que l’on assigne à l’éducation et sur les méthodes que l’on met en place pour la réaliser. Considérer que l’homme est le produit d’un hasard aveugle dominé par une toute-puissante nécessité et que sa conscience n’est que le résultat de processus biochimiques destinés à se dissoudre à brève échéance, s’accommode assez bien de méthodes de dressage qui visent à faire de chaque individu un rouage efficace dans un système de production où la recherche de la rentabilité fait peu de cas de la richesse et de la complexité des êtres. Punitions et sanctions, héritées d’une époque pas si lointaine où le paradigme dominant faisait de l’homme une créature déchue dans un monde en proie au mal et au péché, viennent apporter un concours fort utile (quoique paradoxal) à cette entreprise.

Mais accorder à la personne humaine une éminente dignité, irréductible à tous les conditionnements, amène à rechercher les moyens les plus propres à assurer la croissance harmonieuse de l’élève pour le faire accéder au statut d’adulte pleinement responsable. Toute forme de coercition est étrangère au principe même de l’éducation ainsi conçue. Comment en effet favoriser l’éveil d’une conscience, comment aider l’enfant à épanouir son humanité par la contrainte et par une discipline qui n’engendre que raidissement et révolte ?

Instaurer la confiance et le respect

Jeune enseignant dans un collège de Seine St-Denis, j’avais coutume de commencer l’année en expliquant à mes élèves que je n’aurais recours à aucune punition, devoirs supplémentaires, heures de colles etc. que j’espérais construire avec eux des relations qui ne soient pas basées sur la peur mais sur la confiance et le respect et que nous apprendrions à élaborer ensemble des règles de vie qui permettraient à chacun de prendre conscience de sa responsabilité au sein du groupe et de devenir un peu plus adulte. Régulièrement nous faisions des séances de bilan où chacun pouvait émettre un avis sur le fonctionnement de la classe ; j’acceptais les critiques et les remises en question et les élèves savaient qu’elles seraient prises en compte. En retour, ils étaient capables d’une surprenante auto-critique. M’étant dépouillé d’une autorité factice qui n’engendre que rébellion et obstruction, je m’en remettais à la sagesse du groupe (dont je faisais partie). Je n’ai jamais oublié la richesse des échanges qu’occasionna cette expérience et je peux dire que je ne me suis jamais senti aussi considéré et respecté par mes élèves qu’à cette époque-là.

Heurs et malheurs des réformes

Quinze ans plus tard, principal-adjoint stagiaire dans un collège de centre ville « coté » dans le sud de la France, j’ai découvert la permanence de pratiques d’un autre âge : le recours massif et sans effet aux heures de retenue, toujours pour les mêmes élèves et de la part des mêmes professeurs, les punitions harassantes qui achèvent de décourager des élèves déjà accablés par des difficultés de tous ordres, l’escalade des sanctions qui ne parviennent pas à endiguer la révolte et la provocation. J’ai vu même un jour, dans une classe, un élève au piquet, debout face au mur… Pourtant une circulaire de juillet 2000 sur les procédures disciplinaires avait tenté de faire entrer les principes du droit dans les établissements scolaires et l’on avait pu espérer que ce genre de pratiques aberrantes disparaîtraient en même temps que les établissements mettraient leur règlements intérieurs en conformité avec ce texte.

Pourtant la réforme du « Collège des années 2000 » avait tenté d’imposer une « heure de vie de classe » mensuelle, pâle mais encourageante réminiscence de la pédagogie institutionnelle, qui se heurta malheureusement à une opposition frontale des enseignants. Tous les prétextes furent bons pour faire avorter cette tentative d’instaurer un droit de parole des élèves et de proposer aux professeurs d’abandonner dix fois l’an, pendant une heure, leur rôle traditionnel pour se mettre à l’écoute de ceux qui passent leur temps à les écouter. Cette heure de vie de classe fut vécue comme une menace. Comme si soudain, invités à descendre de leur chaire, les professeurs risquaient de se retrouver sans défense dans une arène hostile. L’institution ne se donna pas vraiment les moyens de faire entrer cette pratique nouvelle dans les mÅ“urs ; comme d’habitude, on demanda aux chefs d’établissement d’user de leur pouvoir de persuasion… L’heure de vie de classe, qui reposait dès lors sur le bon vouloir des professeurs, tomba presque partout en désuétude avant même d’avoir été réellement mise en place.

Cette incapacité à mettre en œuvre des réformes porteuses de progrès est révélatrice de la guerre idéologique qui continue encore de sévir de la base au sommet de l’institution. D’un côté ceux qui affirment qu’il faut se contenter de transmettre des savoirs et restaurer l’autorité des maîtres mise à mal depuis 40 ans par une contestation libertaire, de l’autre ceux qui pensent que dans une société démocratique d’individus libres, l’autorité n’est plus une donnée d’évidence et qu’à une époque où les savoirs ne constituent plus un corpus figé mais sont en constante évolution, une pédagogie purement transmissive n’a plus lieu d’être. L’impossibilité de réaliser un consensus entre ces deux courants de pensée, qui ne recouvrent pas strictement les oppositions politiques traditionnelles, explique pour une bonne part la frilosité avec laquelle l’institution tente à intervalles réguliers d’implanter des pratiques issues de courants pédagogiques novateurs, pour laisser, quelques années plus tard, les tenants d’un retour à l’autorité, à l’ordre ancien et aux bonnes vieilles méthodes donner de la voix et vitupérer le laxisme post soixante-huitard.

Inventer l’autorité participative

Il faut sortir de cette alternative stérile et comprendre que ranger l’autorité incontestée d’un maître détenteur absolu de savoirs immuables au rayon des accessoires démodés n’ouvre pas pour autant le champ à une dangereuse permissivité et au triomphe de l’ignorance. Accepter le risque d’une relation plus horizontale, où le maître assume un rôle de facilitateur, d’instigateur, de stimulateur, vis-à-vis d’élèves eux aussi détenteurs de connaissances qui sont reconnues et prises en considération, ne supprime pas l’autorité mais la rend immanente à une communauté qui fait de la construction collective du savoir son but commun. La peur de la sanction cède alors la place chez l’élève à la certitude que le maître est là pour l’aider dans un processus de croissance globale.

Entendons-nous : je ne plaide pas ici pour la suppression de toute mesure disciplinaire dans les règlements intérieurs des établissements scolaires. Ce serait, en l’état actuel des choses, tout à fait irréaliste. Je plaide pour la reconnaissance sérieuse de la dimension relationnelle de l’acte éducatif dans la formation des enseignants, et plus généralement de tous les personnels qui travaillent au contact des enfants. Se retrouver seul face à une classe, qui a toujours une intuition collective d’une précision stupéfiante de l’état psychologique et émotionnel du professeur, est une expérience qui peut être très déstabilisante à tout moment d’une carrière. Qui n’a fait l’expérience de sentir, dans un moment de plus grande fragilité personnelle, une classe lui échapper ? Un enseignant expérimenté saura peut-être donner le change. Un novice peut s’effondrer.

Pour éviter ces catastrophes parfois irrémédiables, on conseille aux jeunes recrues de faire preuve de fermeté. On leur enjoint d’affirmer leur autorité ; ils pourront toujours « lâcher du lest » plus tard quand ils auront leur classe bien en main. On n’a sans doute pas tort de leur donner ce « kit de survie » si cela permet d’éviter des drames. Mais que l’on ne pense pas s’exonérer ainsi d’une véritable initiation aux enjeux de la relation professeur-élèves.

Car l’autorité qui ne s’édifie que sur la peur de se laisser déborder est bien fragile. Elle se fissurera inévitablement un jour ou l’autre. La tentation peut alors être forte de basculer dans des manifestations dévoyées qui sans aller jusqu’à la violence physique, heureusement proscrite, peuvent prendre la forme d’humiliations quotidiennes dont l’arsenal, aujourd’hui plus subtil, est tout aussi nocif . Il serait bien plus profitable d’apprendre aux jeunes professeurs les moyens d’instaurer dans leur classe des relations humaines authentiques, fondées sur le respect inconditionnel de chaque personne. On moralise beaucoup à bon prix sur le respect comme si c’était une donnée d’évidence.

Parier sur le meilleur en chaque élève

Au mieux on ajoute que ce respect doit être mutuel. Mais comment va-t-il sourdre au sein d’un agrégat d’individus égoïstes, moqueurs, grossiers, vindicatifs ou indifférents ?

L’adulte, s’il a la conviction qu’en chaque élève existe aussi une part plus noble, peut choisir, en la sollicitant toujours, de la faire émerger et s’épanouir. Cette maïeutique ne s’accommode pas des faux-semblants. Elle ne supporte que la vérité. A l’extrême, je dirais qu’un élève devrait pouvoir exprimer non seulement qu’il ne comprend pas un cours, mais qu’il s’y ennuie ou n’en voit pas l’intérêt, sans risquer de représailles. Car si c’est sa réalité du moment, elle peut amener le professeur soit à imaginer des modes d’apprentissage plus stimulants, soit à faire prendre conscience à l’élève de ses blocages ou de ses résistances. Et si au final, le résultat c’est une tirade d’Iphigénie récitée sur un rythme de rap, n’en déplaise aux puristes, l’élève y aura trouvé peut-être un regain d’intérêt pour la littérature, et à coup sûr le sentiment d’être reconnu dans ce qu’il est. L’autorité du professeur n’en ressortira pas amoindrie, et le respect mutuel aura dépassé le stade de la pétition de principe.*

* Texte extrait (avec quelques coupures) de La Finlande, un modèle éducatif pour la France ? (ESF 2010). Les intertitres ont été ajoutés pour cette publication.


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