Edgar Morin, mis en ligne le 10 septembre 2013.
Fédérico MAYOR, Directeur général de l’UNESCO, 2000.
" La gigantesque crise de l’humanité n’est autre que la crise de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à son humanité " Edgar MORIN
Quand nous regardons vers l’avenir, il existe de nombreuses incertitudes sur ce que sera le monde de nos !enfants, de nos petits-enfants et des enfants de nos petits-enfants. Mais nous pouvons être sûrs au moins d’une chose : si l’on veut que la Terre puisse subvenir aux besoins des êtres humains qui la peuplent, la société humaine devra alors être transformée. Ainsi, le monde de demain devra être fondamentalement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, au crépuscule du XXe siècle et du millénaire. Nous devons donc Å“uvrer pour construire un “avenir viable”
La démocratie, l’équité et la justice sociale, la paix ainsi que l’harmonie avec notre environnement naturel doivent être les maîtres mots de ce monde en devenir. Nous devons nous assurer que la notion de “durabilité” est à la base de notre façon de vivre, de diriger nos nations et nos communautés, et d’interagir à une échelle globale.
Dans cette évolution vers des changements fondamentaux dans nos styles de vie et nos comportements, l’éducation – dans son sens le plus large – a un rôle prépondérant à jouer. L’éducation est “la force du futur” parce qu’elle est l’un des instruments les plus puissants pour réaliser le changement.
L’un des défis les plus difficiles à relever sera de modifier nos modes de pensée de façon à faire face à la complexité grandissante, à la rapidité des changements et à l’imprévisible, qui caractérisent notre monde. Nous devons repenser la façon d’organiser la connaissance. Pour cela, nous devons abattre les barrières traditionnelles entre les disciplines et concevoir comment relier ce qui a été jusqu’ici séparé.
Nous devons reformuler nos politiques et programmes éducatifs. Tout en faisant ces réformes, nous devons garder le cap sur le long terme, sur le monde des générations futures vis-à -vis desquelles nous avons une énorme responsabilité.
L’UNESCO s’est employée à repenser l’éducation en termes de durabilité, et ce plus particulièrement dans sa fonction de maître d’œuvre du “Programme international sur l’éducation, la sensibilisation du public et la formation à la viabilité” , programme qui a été lancé en 1996 par la Commission du développement durable des Nations Unies.
Ce programme de travail énonce les priorités approuvées par les États et appelle ces mêmes États, ainsi que les organisations non gouvernementales, le monde des affaires et de l’industrie, la communauté académique, le système des Nations Unies et les institutions financières internationales à prendre rapidement des mesures afin de mettre en pratique le nouveau concept d’éducation pour un avenir viable, et donc de réformer en conséquence les politiques et programmes éducatifs nationaux. Dans cette entreprise, l’UNESCO a été appelée à exercer un rôle moteur pour mobiliser l’action internationale.
C’est ainsi que l’UNESCO a demandé à Edgar Morin d’exprimer ses idées sur l’essence même de l’éducation du futur dans le contexte de sa vision de “la pensée complexe” . Ce document est donc publié par l’UNESCO en tant que contribution au débat international sur la façon de réorienter l’éducation vers le développement durable.
Edgar Morin met en avant sept principes clé qu’il estime nécessaires pour l’éducation du futur. Mon plus grand souhait est que ses idées suscitent un débat qui contribue à aider éducateurs et décideurs à clarifier leur propre pensée sur ce problème vital. Mes plus vifs remerciements vont à Edgar Morin pour avoir accepté de stimuler, avec l’UNESCO, une réflexion qui facilite un tel débat, et ce dans le cadre du projet transdisciplinaire “Eduquer pour un avenir viable” .
J’adresse également tous mes remerciements aux experts internationaux qui ont contribué à enrichir ce texte par leurs suggestions, et tout particulièrement à M. Nelson Vallejo-Gómez.
L’engagement et la sagesse d’éminents penseurs tels qu’Edgar Morin sont inestimables : ils aident
l’UNESCO à contribuer aux profonds changements de pensée indispensables à la préparation de l’avenir.
Edgar MORIN
Avant-propos
Ce texte se veut antérieur à tout guide ou précis d’enseignement. Il ne traite pas de l’ensemble des matières qui sont ou devraient être enseignées : il tient à exposer seulement et essentiellement des problèmes centraux ou fondamentaux, qui demeurent totalement ignorés ou oubliés, et qui sont nécessaires à enseigner dans le siècle futur.
Il y a sept savoirs “fondamentaux” que l’éducation du futur devrait traiter dans toute société comme dans toute culture, sans exclusive ni rejet, selon modes et règles propres à chaque société et chaque culture.
Ajoutons que le savoir scientifique sur lequel s’appuie ce texte pour situer la condition humaine est non seulement provisoire, mais encore débouche sur de profonds mystères concernant l’Univers, la Vie, la naissance de l’Etre humain. Ici s’ouvre un indécidable dans lequel interviennent les options philosophiques et les croyances religieuses, à travers cultures et civilisations.
Il est remarquable que l’éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu’est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l’erreur comme à l’illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu’est connaître.
Il y a un problème capital, toujours méconnu, qui est celui de la nécessité de promouvoir une connaissance capable de saisir les problèmes globaux et fondamentaux pour y inscrire les connaissances partielles et locales. La suprématie d’une connaissance fragmentée selon les disciplines rend souvent incapable d’opérer le lien entre les parties et les totalités et doit faire place à un mode de connaissance capable de saisir ses objets dans leurs contextes, leurs complexes, leurs ensembles.
Il est nécessaire de développer l’aptitude naturelle de l’esprit humain à situer toutes ses informations dans un contexte et un ensemble. Il est nécessaire d’enseigner les méthodes qui permettent de saisir les relations mutuelles et influences réciproques entre parties et tout dans un monde complexe.
L’être humain est à la fois physique, biologique, psychique, culturel, social, historique. C’est cette unité complexe de la nature humaine qui est complètement désintégrée dans l’enseignement, à travers les disciplines, et il est devenu impossible d’apprendre ce que signifie être humain. Il faut la restaurer, de façon à ce que chacun, où qu’il soit, prenne connaissance et conscience à la fois de son identité complexe et de son identité commune avec tous les autres humains.
Ainsi, la condition humaine devrait être un objet essentiel de tout enseignement.
Le destin désormais planétaire du genre humain est une autre réalité clé ignoré par l’enseignement. La connaissance des développements de l’ère planétaire qui vont s’accroître dans le XXIe siècle, et la reconnaissance de l’identité terrienne, qui sera de plus en plus indispensable pour chacun et pour tous, doivent devenir un des objets majeurs de l’enseignement.
Les sciences nous ont fait acquérir beaucoup de certitudes, mais nous ont également révélé au cours du XXe siècle d’innombrables domaines d’incertitudes. L’enseignement devrait comporter un enseignement des incertitudes qui sont apparues dans les sciences physiques (microphysiques, thermodynamique, cosmologie), les sciences de l’évolution biologique et les sciences historiques.
L’abandon des conceptions déterministes de l’histoire humaine qui croyaient pouvoir prédire notre futur, l’examen des grands événements et accidents de notre siècle qui furent tous inattendus, le caractère désormais inconnu de l’aventure humaine doivent nous inciter à préparer les esprits à s’attendre à l’inattendu pour l’affronter.
Il est nécessaire que tous ceux qui ont la charge d’enseigner se portent aux avant-postes de l’incertitude de nos temps.
La compréhension est à la fois moyen et fin de la communication humaine. Or, l’éducation à la compréhension est absente de nos enseignements. La planète nécessite dans tous les sens des compréhensions mutuelles. Étant donné l’importance de l’éducation à la compréhension, à tous les niveaux éducatifs et à tous les âges, le développement de la compréhension nécessite une réforme des mentalités. Telle doit être l’oeuvre pour l’éducation du futur.
Elle constituerait en même temps une des bases les plus sûres de l’éducation pour la paix, à laquelle nous sommes attachés par fondation et vocation.
L’enseignement doit amener à une “anthropo-éthique” par la considération du caractère ternaire de la condition humaine, qui est d’être à la fois individu ! société ! espèce. Dans ce sens, l’éthique individu/espèce nécessite un contrôle mutuel de la société par l’individu et de l’individu par la société, c’est-à -dire la démocratie ; l’éthique individu / espèce appelle au XXIe siècle la citoyenneté terrestre.
L’éthique ne saurait être enseignée par des leçons de morale. Elle doit se former dans les esprits à partir de la conscience que l’humain est à la fois individu, partie d’une société, partie d’une espèce. Nous portons en chacun de nous cette triple réalité. Aussi, tout développement vraiment humain doit-il comporter le développement conjoint des autonomies individuelles, des participations communautaires et de la conscience d’appartenir à l’espèce humaine.
A partir de cela s’esquissent les deux grandes finalités éthico-politiques du nouveau millénaire : établir
une relation de contrôle mutuel entre la société et les individus par la démocratie, accomplir l’Humanité
comme communauté planétaire. L’enseignement doit contribuer, non seulement à une prise de conscience
de notre Terre-Patrie, mais aussi permettre que cette conscience se traduise en une volonté de réaliser la
citoyenneté terrienne.
Source : Publié en octobre 1999 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture - 7 place de Fontenoy - 75352 Paris 07 SP - France © UNESCO 1999, et aux Editions du Seuil, 2000.
Consulter : http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin
» Une première : un manuel philosophique pour enfants et une BD sur la pensée complexe avec Edgar Morin comme héros
» Décès de Georges Hervé
» MERCI DE SOUTENIR L’ASSOCIATION ECOLE CHANGER DE CAP
» Manifeste pour une éducation à la citoyenneté planétaire
» Hommage à Armen Tarpinian
» EDGAR MORIN — Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation
» Entretien avec Edgar Morin : Réforme de la pensée, réforme sociale et auto-réforme
» Politique et École : la dimension anthropologique
» L’ Éducation psycho-sociale au service d’un nouvel humanisme
» Ecole changer de cap. Contributions à une éducation humanisante
» Idées-forces pour le XXIe siècle
» L’éducation humaniste
» Treize transformations nécessaires et possibles...
» Education et Humanisation. Brève histoire d’une Idée-Force
» Vivre s’apprend. Refonder l’humanisme
» Santé publique et développement des compétences psychosociales à l’école
» École et éthique
» Progrès et Évolution : plaidoyer pour une humanité bipède
» Assumer notre humanité réelle. La voie de la thérapie sociale
» Donner toute sa chance à l’école. Treize Transformations nécessaires et possibles...
» Former à la culture de la non-violence et de la paix
» Education à la non-violence : un programme pour l’école
» La "Psychique" au service d’un humanisme éclairé
» Individu et société
» Pour une école « créatrice d’humanité »
» L’éducation, au cÅ“ur de la construction humaine...
» La réussite, une idéologie ?
» Education et société à faire advenir