Collectif Ecole changer de cap, mis en ligne le 11 juin 2012.
Rio+20 se développe dans une situation de crise mondiale. Nous assistons non seulement aux conséquences économiques, sociales et environnementales de la crise du capitalisme financier dans sa phase néolibérale, mais à une plus grande crise qui met en évidence les problèmes inhérents au système actuel, qui affecte des domaines clés de la vie et s’exprime sur divers phénomènes locaux, régionaux et mondiaux. Bien que le regard des analystes et de l’opinion publique se soit concentré sur l’Europe et les Etats-Unis, la situation montre des signes d’épuisement global, et des demandes pour des alternatives pour l’humanité et la planète sont de plus en plus présentées.
Même si les organismes financiers multilatéraux donnent la priorité à une analyse économique de la crise en proposant les mêmes politiques d’ajustement structurel axées sur la réduction des dépenses des États, les organisations de la société civile et les mouvements sociaux ont mis en garde au sujet de la complexité de la crise que l’on traverse. La situation pose des problèmes à multiples facettes, mais l’un des plus importants c’est la crise d’ordre politique mondial, car il n’existe aucun espace démocratique international qui permette de prendre des décisions sur des questions qui ont une dimension mondiale et des effets différentiés au niveau local ; ce qui a prévalu dans les domaines traditionnels de discussion sont les intérêts particuliers de certains Etats, entreprises et banques, sous les intérêts du capital. Cette situation est préoccupante, car elle suppose l’affaiblissement du multilatéralisme pour la prise de décisions collectives sur des problèmes mondiaux.
Dans ce contexte, on a assisté à l’apparition de nouveaux processus de mobilisation et de participation des citoyens, à travers une explosion de mouvements sociaux actifs face à des situations de violation des droits humains et de catastrophes environnementales qui sont de plus en plus positionnées comme un facteur de plaidoyer et de changement dans la politique de certains pays. Ces nouveaux acteurs internationaux portent le débat sur les formes institutionnelles du système démocratique à des positions de priorité dans les agendas nationaux. Il y a des mouvements visant à développer des processus auto-constitutifs, des initiatives populaires de loi et la refondation des systèmes démocratiques pour les rendre plus inclusifs et participatifs. Ce qui est inhabituel dans cette situation c’est, précisément, la force de mobilisation de ces mouvements de citoyens, à tel point qu’ils disputent la restructuration de l’aspect public et l’agenda politique mondial, en dynamisant et politisant le débat sur les possibilités de se diriger vers des sociétés durables dans leurs dimensions environnementale, sociale, économique et avec la responsabilité globale.
Les mouvements citoyens se sont exprimés de formes diverses touchant de façon importante le réalignement de la politique de différents pays et régions, soit par les revendications concernant les droits humains et la démocratisation, l’indignation pour le chômage et l’exclusion de secteurs importants de la population des services sociaux élémentaires, le mécontentement des citoyens-ennes avec les moyens actuels de l’organisation de la politique démocratique, la mobilisation des étudiants pour l’éducation publique gratuite et universelle, ou les luttes des organisations écologistes contre les États et les grandes entreprises prédatrices de l’environnement. En tant que tel, le mouvement citoyen mondial est confronté à des défis de court et moyen terme d’une grande portée éthique et politique.
La crise mondiale est aussi une crise de l’éducation – sous entendue comme éducation tout au long de la vie – de son contenu et son sens, car elle est de moins en moins conçue comme un droit humain pour devenir le moyen privilégié pour répondre aux besoins des marchés qui demandent la main-d’œuvre pour la production et la consommation. On a non seulement abandonné la formation de personnes capables de penser aux importants problèmes politiques, environnementaux, économiques et sociaux d’ordre mondial, mais aussi l’éducation a été dépouillée de son contenu politique profond et, en particulier, de son potentiel pour former des citoyens et citoyennes capables de penser un ordre économique et social différent dans lequel on puisse surmonter les crises profondes et complexes que nous traversons, comme en témoignent les inégalités et discriminations croissantes et le manque de dignité et de justice. Des approches très riches telles que l’Éducation Populaires y ont contribué, grâce à son potentiel de transformation des individus sociaux et des groupes organisés.
Il est essentiel de donner un nouveau sens aux fins et aux pratiques de l’éducation dans le contexte particulier de dispute de sens, caractérisé à la fois par la subordination majoritaire des politiques publiques au paradigme du capital humain, et en contresens, l’émergence, depuis le mouvement social, de paradigmes alternatifs qui cherchent à rétablir le caractère de droit et de projet éthique et politique à la pratique éducative. Si dans le contexte actuel le but de l’éducation est de produire la main-d’Å“uvre pour la production et de consommation, alors, qui va former des citoyens-ennes ? Le capital humain réduit les capacités humaines à la fonction de produire plus de richesse dans les conditions sociales existantes, qui impliquent de grandes inégalités. Les citoyens-ennes, en revanche, ont le devoir de mettre en question ces conditions quand elles produisent des injustices, la discrimination, l’avilissement, et mettent en danger la vie sur Terre. En ce sens, il est urgent de récupérer la notion d’éducation comme un droit humain dans ses dimensions formelle, non formelle et informelle, d’ouvrir son regard à la démocratisation des sociétés pour former des citoyens-ennes critiques, capables de se lier à des mouvements qui revendiquent une transformation de l’ordre sociale, en vue de plus de justice sociale et environnementale, afin de comprendre et de discuter des solutions aux problèmes d’échelle planétaire.
La question du développement d’une « subjectivité » critique est un aspect central dans la construction d’une pédagogie civique dans la situation actuelle. Il s’agit de restaurer un sens émancipateur des processus d’autonomisation, compris comme le développement des ressources communautaires pour l’activité politique, de développer des connaissances, d’améliorer les savoirs et l’apprentissage qui se produisent dans les luttes démocratiques et qui demandent des leaderships inclusifs, des organisations participatives , des alliances avec des organisations démocratiques de la société civile et une « pondération radicale-pragmatique » (inédite-possible, dirait Paulo Freire) permanente et nécessaire dans la définition d’accords, de consensus et de partenariats entre les divers acteurs impliqués dans la politique.
Tout cela implique un tour politique et cognitif, un changement de paradigme dans la façon de comprendre l’éducation, une ouverture à de nouvelles perspectives sur les objectifs sociaux, tels que le bien-vivre, les biens communs, l’éthique des soins, entre autres, sur lesquels il faut ouvrir un grand espace de discussion et de socialisation sur le chemin vers Rio +20 et au-delà , et consolidés dans le sens d’une éducation pour le changement et la transformation personnelle et sociale. Ces nouveaux paradigmes et points de vue doivent être non seulement des cartes pour agir dans de nouveaux contextes, mais également des feuilles avec un contenu compatible avec les objectifs que nous cherchons en tant que mouvement des citoyens-ennes capable d’impliquer les divers acteurs du processus éducatif, comme les travailleurs et travailleuses de l’enseignement, les étudiants-tes, les parents et, plus largement, tous et toutes les citoyens-ennes qui ont besoin et qui luttent pour un changement profond dans l’éducation, afin de générer un changement radical dans la société vers plus de justice sociale et environnementale. Tout ceci est cohérent avec la conception libératrice de l’éducation populaire, qui se nourrit de multiples expériences pédagogiques pour former une autre citoyenneté.
Le changement de paradigme dans l’éducation comme une condition pour avancer vers des sociétés durables, avec la justice sociale et environnementale, où l’économie soit un moyen pour atteindre ce but et non une fin en soi, doit entraîner un changement dans les approches technicistes et économiste des politiques éducatives en vigueur. Il faut revendiquer le droit d’apprendre « tout au long de la vie », slogan qui ne doit pas être compris comme l’expression d’une sorte de formation continue pour répondre aux besoins du marché et aux exigences de l’industrie ancienne et nouvelle.
Cette approche sur l’éducation que nous voulons part de la construction de multiples « éducations » dans leurs dimensions formelle, informelle et non-formelle, pour développer des capacités humaines, y compris les capacités cognitives, d’autonomisation et de participation sociale, de vivre avec d’autres dans la diversité et la différence, de soigner et planifier la propre vie, de vivre parmi les êtres humains en harmonie avec l’environnement.
Une éducation pertinente, transformatrice, critique, doit avoir comme fin ultime la promotion de la dignité humaine et la justice sociale et environnementale. L’éducation, un droit humain promoteur des autres droits, doit considérer les enfants, les jeunes et les adultes en tant que sujets de droit, promouvoir l’interculturalité, l’égalité, l’équité de genre, le lien entre la citoyenneté et la démocratie, les soins et le respect de la nature, l’élimination de toute forme de discrimination, la promotion de la justice et la construction d’une culture de la paix et la résolution non-violente des conflits.
L’éducation que nous voulons exige la promotion stratégique d’une éducation qui contribue à une redistribution sociale des connaissances et du pouvoir (en tenant compte du genre, de la race - l’origine ethnique, de l’âge, de l’orientation sexuelle), qui renforce le sens d’autonomie, de solidarité et de diversité exprimés par les nouveaux mouvements sociaux.
Le but est de promouvoir une éducation critique et transformatrice qui respecte les droits humains et ceux de toute la communauté de vie à laquelle l’être humain appartient, en particulier le droit à la participation citoyenne dans des espaces de prise de décision, tels que la Conférence Rio +20.
Rio + 20 ne peut pas devenir un forum pour promouvoir le développement économique au détriment des droits humains et de la vie elle-même. Le mouvement d’éducation y sera présent avec d’autres mouvements sociaux pour élever le drapeau de la justice sociale et environnementale et de la dignité de l’être humain et de la vie. Y sera également présent pour défendre l’éducation en tant que droit humain fondamental qui vise à transformer les modes de production, de consommation et de distribution du système actuel pour atteindre une plus grande justice sociale et environnementale. Pour certains secteurs, Rio + 20 est une occasion de « rendre verte » la sortie capitaliste de la crise, en essayant de l’humaniser, et de faire un appel à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. De cette façon on vise à établir des accords « dans la mesure du possible » face au changement climatique et autres crises, à promouvoir des ajustements sans que le paradigme sur lequel le statu quo s’appui ne soit mis en question ou en danger.
Dans le processus préparatoire de ce Sommet mondial, nous avons vu de nombreuses expressions de ces tendances qui nient la valeur centrale des droits humains et qui effacent la responsabilité du mode de développement capitaliste dans la génération des multiples crises que nous vivons. D’un point de vue critique et qualitativement différent, nous considérons que Rio+20 doit être un processus qui amplifie la mobilisation néo-paradigmatique pour avancer vers des sociétés intégralement durables, ayant de la justice sociale et environnementale, capables de répondre aux besoins des êtres humains et de leurs communautés, en peuplant la planète de manière harmonieuse avec les logiques de la vie sur la Terre (notre maison commune) et en générant une nouvelle façon de comprendre la coexistence, la diversité et la solidarité en tant que conditions politiques et éthiques pour un ordre social vraiment démocratique.
Il est, donc, nécessaire d’avancer dans un sens critique et établir des coordonnées alternes telles que comprendre les processus sociaux d’un point de vue de la complexité, où diverses matrices de besoins humains, le développement des capacités tant cognitives qu’affectives, organisationnelles, co-expérientielles et de « soins » se réunissent, ainsi qu’un vaste répertoire de formes d’organiser les actions collectives. De cette façon, il est nécessaire de concevoir la politique comme une pratique exprimée dans des actions collectives et démocratiques, et dont le développement fait surgir des connaissances qui se répandent entre des organisations et des mouvements de citoyens-ennes de toutes sortes, et en particulier entre leurs bases, formant une autonomisation des citoyens-ennes face à l’ordre politique, et une re-politisation de l’aspect public. Il faut également développer une théorie politique qui redimensionne la démocratie comme un espace humain délibératif, de proximité, égalitaire dans ses relations de genre-race-ethnie-générations, orientation sexuelle, « dépatriarcalisé » et « décolonisé », fécondé par la pratique de la reconnaissance, la réciprocité et le respect des différentes façons d’être-avec-d’autres, de vivre la sexualité et d’habiter le « monde de la vie ».
Développer des itinéraires politico-pédagogiques en fonction des besoins non satisfaits des populations et des exigences de durabilité des territoires spécifiques à partir de leurs propres cultures, des économies locales et d’une relation plus juste avec les marchés mondiaux, de leurs propres structures de l’emploi, des capacités de charge de leurs écosystèmes, qui permettent de réussir à construire le bien-être humain en harmonie avec la vie et de la terre mère.
Pour ces raisons, les mouvements sociaux qui réclament un changement profond en vue de construire des sociétés plus justes et plus capables de coexister avec la vie sur la planète, s’exprimeront catégoriquement à la Conférence Rio + 20 et au Sommet des Peuples en emmenant, entre autres, le message que l’affirmation et la réalisation du droit à l’éducation, ainsi que du noyau le plus intégral et complet de droits, est une condition préalable pour construire un monde où la dignité de la vie devienne réelle, un monde où il fait bon vivre et, aussi, où il est possible de vivre.
NOTE
Le Groupe de travail d’éducation pour la Conférence des Nations Unies sur le développement durable Rio +20 se compose de :
Le Conseil International d’éducation des Adultes (ICAE), le Forum International d’éducation (FME), la Campagne Latino-américaine pour le Droit à l’éducation (CLADE), le Conseil de l’éducation des Adultes de l’Amérique Latine (CEAAL), la Journée de l’éducation environnementale pour des sociétés durables et une responsabilité globale, la Faculté Latino-Américaine de Sciences Sociales (FLACSO), l’internationale de l’Education, le Réseau d’éducation populaire des femmes en Amérique Latine et les Caraïbes (REPEM ).
Voir le SITE RIO+20
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