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École : un changement de cap devient possible…

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Paul Robert, mis en ligne le 17 mai 2012.

Paul ROBERT, Principal du Collège Lou Redounet à Uzès.

Nous publions ici la réflexion d’un chef d’établissement directement aux prises, au quotidien, avec la crise de l’école et les vraies solutions à y apporter. Écrite à chaud elle est doublement intéressante. Son procès très sévère de la politique "économiste" tous azimuts qui a dominé ces dernières années les réformes de l’école, se double d’un regard impartial sur ce qu’il convient de retenir et de déployer des mesures mises en chantier par les précédents ministres de l’éducation : à condition de les replacer dans une vision résolument humaniste de l’école qui tienne compte de la dimension économique mais ne s’y réduisent pas. La meilleure visée économique ne serait-elle pas celle qui épargnerait les coûts moraux et sociaux - et financiers - des échecs et des souffrances scolaires qu’elles soient manifestes ou secrètes ? Leurs conséquences directes ou indirectes pèsent en effet très lourdement, de façon non évaluée, sur les comptes sociaux de la nation.

Ce qui manque fondamentalement à l’école, avant toute réforme, c’est une vraie interrogation sur ses valeurs, ses finalités, ses pratiques à l’aune des besoins fondamentaux de l’être humain. "Penser mieux en amont pour avoir moins à panser en aval". C’est la tâche la plus difficile mais la plus impérative.

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Le point de vue d’un chef d’établissement

La victoire de François Hollande ouvre pour l’Éducation Nationale un horizon nouveau.

Les engagements pris par le nouveau président, pendant sa campagne, sont forts : mettre fin aux attaques incessantes subies pendant 5 ans par le service public de l’éducation sous couvert de modernisation et de rationalisation, avec comme seule préoccupation réelle les économies budgétaires, et rétablir une priorité clairement affichée pour ce domaine.

Les assauts les plus rudes et les plus dommageables que nous avons eu à subir ont été le démantèlement brutal de la formation des professeurs et la suppression des RASED. La réalité de la souffrance des jeunes enseignants stagiaires a été simplement ignorée. La nécessité d’une prise en charge spécifique des enfants en grande difficulté a elle aussi été niée. Toutes les voix concordantes des experts se sont pourtant élevées, à chaque fois, pour dénoncer le péril que ces mesures faisaient courir au système tout entier. En pure perte. L’optimisme de façade était de mise au sommet de l’État et par répercussion à tous les échelons de la hiérarchie. On avait décrété une fois pour toute que tout allait de mieux en mieux.

Donc tout allait de mieux en mieux ! Malgré des indicateurs toujours plus inquiétants. Malgré des résultats affligeants de la France dans les évaluations internationales. Ces mêmes évaluations que l’on convoquait seulement pour prouver que le critère des moyens financiers engagés par les États n’était pas déterminant pour la réussite des élèves. C’était vouloir s’aveugler Car ne garder des évaluations internationales que ce seul enseignement revenait à faire piloter l’Éducation Nationale par Bercy ! Ce qui fut amplement le cas… On en a vu le résultat !

Sur le terrain, les acteurs se sont épuisés et découragés. Avec une hantise : jusqu’où risquait-on encore d’aller si un nouveau quinquennat était accordé au président sortant ? Il avait d’ailleurs clairement annoncé ses intentions : toujours plus de suppressions de postes et toujours plus de pression pour les personnels restants. Avec comme seul rempart érigé contre la désintégration : la restauration de l’autorité. Mais de quelle autorité peuvent réellement jouir des personnels ainsi traités ?

Le plus manifeste désaveu de cette politique du chiffre est … le chiffre en chute libre des candidats aux concours de recrutement de l’éducation. Le renouvellement des professeurs n’était plus assuré. La désaffection des étudiants pour la profession d’enseignant était patente ! Les discours lénifiants n’avaient plus de prise sur cette réalité-là, incontournable.

Tout est-il à rejeter de ce quinquennat en matière éducative ?

Faut-il faire table rase de toutes les mesures prises ? Ce serait la pire des tentations de la nouvelle équipe. Car des avancées réelles ont été réalisées :

− L’idée que l’école doit désormais s’engager sur l’acquisition d’une base commune de connaissances et de compétences par tous les élèves à la fin de la scolarité obligatoire a progressé. Certes de manière imparfaite, parfois précipitée, parfois de façon incohérente ou contradictoire. Mais a progressé. Cette évolution est en phase avec les grandes tendances des systèmes éducatifs dans le monde. Elle change radicalement les perspectives. Elle est loin d’être encore unanimement acceptée, voire comprise, dans le monde enseignant.

Il faut espérer que la nouvelle équipe s’engagera fortement et clairement sur la mise en place effective du "Socle commun des connaissances et compétences". Nous avons sur ce point besoin de continuité. La mise en cohérence de l’ensemble du système avec cet objectif majeur reste à réaliser. Ne restons pas au milieu du gué. Et surtout ne faisons pas demi-tour par peur des courants contraires qui pourraient se renforcer, la gauche étant loin d’être unanime sur ce sujet. Le consensus reste à construire !

− Deuxième progrès incontestable : l’accompagnement éducatif. Au-delà des formules choc du président sortant, reconnaissons que l’offre faite à tous les collégiens de pouvoir, après les cours, faire leurs devoirs en présence de personnels aptes à les aider et à les guider, mais aussi de pouvoir bénéficier d’activités culturelles, linguistiques ou sportives, a contribué à une plus grande équité entre ceux qui bénéficient chez eux d’un contexte culturel favorable et d’une aide attentive et les autres. Voilà ce qui, à mon sens, de tout le maelström de réformes que nous avons subies, doit être conservé et approfondi.

Tout le reste doit être remis à plat.

Une réforme profonde sur des bases nouvelles est nécessaire

La formation des enseignants doit être de toute urgence restaurée. Le nouveau président a pris des engagements clairs dans ce domaine et je lui fais entièrement confiance pour qu’ils soient effectifs dès la prochaine rentrée.

Les RASED, sous une forme sans doute améliorée, doivent être rétablis. Si l’on veut pouvoir faire vivre tous les élèves, tout au long de la scolarité obligatoire, dans une même maison, il faut apporter une attention et une aide particulières à ceux qui sont moins bien armés vis-à-vis des exigences, désormais incontournables, que le système se fixe pour eux.

Troisième sujet essentiel : la carte scolaire. Soyons clair : elle n’a jamais été supprimée ! Son assouplissement, purement idéologique, n’a abouti qu’à marginaliser davantage les établissements le plus en difficulté. Les rebaptiser ECLAIR n’a pas éloigné les nuages noirs qui bouchaient leur horizon. Au contraire ! Ces écoles, ces collèges et ces lycées se sont pour la plupart vidés de leur substance et ont vu partir leurs meilleurs élèves, ne laissant sur place qu’un noyau dur de misère sociale et culturelle. Adieu la mixité ! Adieu la cohésion sociale ! Dans un tel contexte, les moyens supplémentaires (d’ailleurs largement fictifs en terme d’euros, comme l’a bien démontré un rapport de la Cour des comptes) dont ces établissements disposaient, étaient dépensés en pure perte.

L’idéologie libérale a mené à la gabegie ! La question de la carte scolaire devra donc être remise sur la table, en ayant à l’esprit l’hypocrisie de l’ancien système, avec ses multiples passe-droits, et la nocivité du nouveau, dans sa logique de ghettoïsation cynique. Des solutions nouvelles sont à inventer qui devront être étroitement connectées à une nouvelle politique de la ville et au souci de rendre réellement attractifs les établissements actuellement marginalisés, afin de réaliser une vraie mixité sociale et d’en faire des lieux de réussite scolaire.

Quant à la réforme du lycée, il est clair qu’elle n’a pas produit les résultats escomptés. Les enseignements d’exploration et l’accompagnement personnalisé, les deux mesures les plus emblématiques de cette réforme, n’ont pas réussi à rénover en profondeur ces bastions napoléoniens inadaptés au monde contemporain que sont toujours les lycées généraux et technologiques. Tout reste encore à faire pour les rendre réellement en mesure d’accueillir tous les élèves qui leur sont confiés, et de les faire réussir sans ajouter, par des réorientations et des redoublements massifs, une nouvelle sélection à celle déjà opérée à la fin du collège.

D’autres sujets devront bien sûr être abordés parmi lesquels celui de l’autonomie des établissements. Sur ce dernier point, le débat (si l’on peut dire…) avait été bien mal entamé, avec une optique essentiellement libérale de dérégulation et de mise en concurrence. L’autonomie dont nous avons besoin, ce sont de réelles marges de manÅ“uvre pour mobiliser les équipes sur le terrain et trouver les meilleures solutions pour faire réussir tous les élèves qui nous sont confiés, de façon à ce que tous, à la fin de la scolarité obligatoire, soient au moins pourvus du bagage nécessaire pour espérer construire un projet de vie positif. Assez de règlementations tatillonnes ! Assez d’injonctions contradictoires ! Assez de pilotage confus au gré du dernier fait divers !

Ce que nous réclamons, ce sont de grands objectifs généraux, clairs, appuyés sur des valeurs fortes de réussite pour tous et d’équité réelle, et, pour les réaliser, une grande liberté de mise en œuvre, y compris sur l’utilisation des moyens alloués et sur les grilles horaires. Les établissements doivent devenir de véritables communautés apprenantes. La confiance qui leur sera accordée en terme d’autonomie sera payée en retour par une plus grande implication des personnels et au final par une bien plus grande efficacité.

J’accorde tout mon crédit à la nouvelle équipe qui va se mettre en place dans quelques jours pour œuvrer efficacement à tous ces chantiers fondamentaux et je suis persuadé qu’une énergie renouvelée va irriguer tout le système pour porter les changements nécessaires à mener, avec sérénité, en concertation avec tous les acteurs concernés.

Car aucune réforme ne pourra s’opérer sans impliquer au préalable tous ceux sur lesquels elle doit avoir un impact.

Paul ROBERT

Principal de Collège. Auteur de La Finlande, un modèle éducatif pour la France ? Éditions ESF, 2010. Membre du Collectif École changer de cap.

Note. Lire le récit par Paul Robert de l’expérience d’une "Classe sans notes" dans le Collège Lou Redounet à Uzès.


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