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Facteurs incontournables du développement de l’enfant

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Collectif Ecole changer de cap, mis en ligne le 6 février 2012.

Hubert Montagner*

À l’occasion de la première Journée nationale du refus de l’échec scolaire, qui s’est tenue à Paris le mardi 23 septembre 2008, le journal LIBÉRATION publiait un sondage réalisé auprès de 700 jeunes suivis par l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville). Selon ce sondage, 42 % des élèves ont « mal au ventre au moment de partir à l’école » ; « 26 % ne comprennent pas ce qu’on leur demande de faire ».

L’enquête précise que « 84 % des collégiens en grande difficulté sont issus des catégories défavorisées ». En outre, dans les 26 % de collégiens qui ne comprennent pas ce qu’on leur demande de faire à l’école, il y a très probablement un nombre non négligeable de jeunes qui, “souffrant” d’un déficit cumulé de sommeil ou de “troubles” du rythme veille-sommeil, ne peuvent pas être suffisamment attentifs, réceptifs, disponibles et lucides pour donner sens aux messages du professeur... parce qu’ils sont en manque d’éveil et de vigilance (de capacités d’alerte par rapport aux informations et stimulations de l’environnement). Nous y reviendrons.

Or, il est devenu manifeste qu’on ne peut plus rechercher les explications à l’échec scolaire de l’enfant en s’abritant derrière les seuls déficits de ses processus cognitifs et/ou ses supposés petits moyens intellectuels. Tout indique en effet que les déficits, blocages, dysfonctionnements, etc., ne peuvent être bien appréhendés que si les enfants sont considérés dans leur globalité et leurs différents lieux de vie.

On doit alors examiner comment sont imbriqués à chaque âge les acquis du développement corporel, biologique, psychologique et intellectuel de l’enfant en situation d’échec, et comment ils peuvent être remodelés d’un âge à l’autre par les influences de l’environnement. Mais, une telle dé-marche n’a de sens que par comparaison avec les enfants qui réussissent. Il en résulte une nouvelle approche du développement et du devenir de l’enfant, quelles que soient ses particularités invalidantes : handicaps, troubles du développement, du comportement, du langage, etc.

La sécurité affective, clé et plate-forme du développement individuel

L’une des priorités majeures de la famille, de l’école et de la société serait de créer un éventail de conditions qui permettent à chaque enfant de dépasser les peurs et les blocages signalés dans l’enquête. Une condition essentielle est que les enfants puissent s’installer dans la sécurité affective, c’est-à-dire qu’ils éprouvent le sentiment qu’ils ne sont pas abandonnés, maltraités, ignorés ou en danger.

Ce résultat atteint, ils manifestent peu de conduites de peur ou de dé-tresse dans des moments de séparation avec la ou les personnes d’attachement initial, ou suite à un changement d’environnement ou à un événement anxiogène. En d’autres termes, les enfants ancrés dans la sécurité affective, on les dit "sécures" , se montrent beaucoup plus adaptés et adaptables à leurs différents environnements et partenaires.

La sécurité affective est la sève qui ouvre en grand les vannes des constructions majeures de la vie. En échappant à ses peurs, l’enfant peut développer la confiance en soi et la confiance dans autrui, acquérir l’estime de soi, libérer toute la gamme de ses émotions, et découvrir et comprendre celles de ses partenaires. Il libère en même temps son langage oral. Ces libérations lui permettent d’initier et d’accepter des interactions accordées avec les autres, c’est-à-dire de faire les ajustements nécessaires pour nouer des attachements sécures. Parallèlement, ces libérations lui permettent de structurer les compétences universelles qui sous-tendent les systèmes de communication, les processus de socialisation, les habiletés motrices et les conquêtes spatiales qui constituent ses compétences socles (voir plus loin).

La libération des émotions, du langage oral et des compétences socles permet à chaque enfant de manifester des processus cognitifs qui étaient masqués ou enfouis, et d’en acquérir d’autres avec l’entrée dans les apprentissages. Cela, même quand il est porteur d’une anomalie génétique, d’un handicap physique, ou encore d’un trouble du développement ou du comportement.

Les ressources des enfants sécures

Au cours des interactions avec autrui, les jeunes enfants expriment l’une ou l’autre des six émotions considérées comme innées et universelles. En effet, selon ce qu’ils perçoivent chez l’autre, ils rient, expriment des attitudes de tristesse, de colère ou de peur, se montrent surpris ou affichent des expressions de dégoût. Ils savent aussi faire comprendre leurs intentions par des moyens explicites. Attentifs, ils cherchent en même temps à comprendre le sens des comportements et paroles de leur interlocuteur. Autrement dit, les enfants sécures ont l’envie et la compétence d’exprimer ce qu’ils ressentent et pensent au moyen de messages qui combinent des mimiques, des attitudes, gestes, façons d’être, façons de faire, vocalisations et paroles … et pas seulement par le langage oral, ou pas du tout.

Entre 2 et 4 ans, l’enfant sécure est un être déjà bien ancré dans les di-mensions émotionnelle, affective, relationnelle et cognitive de la communication.

Les compétences-socles et les systèmes de communication

Bien structurées chez les enfants sécures, cinq compétences-socles ont été, définies, formalisées et proposées dans plusieurs publications.

1- L’attention visuelle soutenue

C’est la capacité des enfants de tous âges à poser un regard soutenu sur une « cible ». Elle structure et organise la communication « multicanaux ». Ce qui permet à l’enfant de combiner et d’intégrer aux informations transmises par le regard, les mains, le visage, le corps… celles recueillies par le canal auditif (notamment le langage oral), mais aussi, les informations, olfactives, pro-prioceptives et autres. Les enfants ayant développé une attention visuelle soutenue ont une plus forte probabilité que les autres de comprendre et d’apprendre.

2- L’élan à l’interaction

On rassemble sous ce terme toute manifestation de l’enfant qui entraîne une réduction de la distance interpersonnelle et ainsi une proximité corporelle avec un ou plusieurs partenaires (voir bibliographie). Combiné à l’attention visuelle soutenue, l’élan à l’interaction joue un rôle essentiel dans le développement des interactions accordées et dans le renforcement d’un attachement sécure entre l’enfant et sa famille, mais aussi avec les autres personnes. Il facilite les processus de communication rapprochée qui impliquent le regard, les mimiques, les mots murmurés, les contacts manuels et corporels

3- Les comportements affiliatifs

On regroupe sous le terme « affiliatif » les comportements qu’autrui interprète par comme adhésion à ses actes et paroles. Ces comportements fondent les processus de socialisation qui régulent les interactions au sein des groupes. Ils permettent à chacun de se situer par rapport aux autres. À tous les âges, les comportements affiliatifs régulent les interactions au cours des conflits, des activités symboliques et des jeux de rôle. C’est pourquoi, ces activités peuvent constituer des champs privilégiés de la pédagogie.

4- La capacité de reproduire et d’imiter

Par imitation, on entend la capacité de l’enfant à reproduire plus ou moins complètement les manifestations de ses partenaires, et à leur donner le même sens. Dans les activités symboliques et les jeux de rôle, les enfants se montrent particulièrement compétents pour reproduire le langage oral de l’interlocuteur, dans tous ses aspects, et en saisir le sens.

5- L’organisation structurée et ciblée du geste

Il s’agit de la capacité de l’enfant à structurer et organiser ses gestes en direction des objets qui retiennent son attention visuelle. L’enchaînement dit reaching-grasping (atteindre-attraper/saisir) est le socle des habiletés motrices permettant aux enfants d’assembler les objets dès la première année et ainsi de mettre en place des mécanismes majeurs du développement cognitif.

Les fondements de la sécurité affective

L’installation ou la restauration de la sécurité affective repose sur un trépied que l’on retrouve dans toutes les cultures :

Interactions avec au moins une figure d’attachement rassurante

L’établissement et le renforcement des interactions accordées avec au moins une figure d’attachement rassurante (le plus souvent la mère, ou le père).

En l’absence d’une famille, les enfants peuvent nouer à tout âge des liens d’attachement sécure avec un ou plusieurs partenaires dans les structures qui les accueillent.

Respect des rythmes biopsychologiques

Les rythmes majeurs des enfants doivent être préservés. Il faut en premier lieu que leur rythme veille-sommeil s’inscrive régulièrement dans l’alternance du jour et de la nuit. On favorise ainsi, après les incertitudes, désordres et stress de la journée, l’ancrage de chacun dans la régularité rassurante des repères stables et récurrents par rapport à la famille et à la « niche de sommeil ». On optimise ses capacités de récupération biologique, psychologique et intellectuelle. Alliance entre corps, pensée et espaces.

Il est également nécessaire que le milieu familial et l’école soient conçus pour que chacun puisse construire l’alliance de la sécurité affective, du langage, des émotions, des coordinations motrices, de la sensorialité, des systèmes de communication, des processus cognitifs et des constructions intellectuelles de l’enfant, dans toutes les dimensions de l’espace.

La conquête d’espaces, de mobiliers et dispositifs dits « sécurisés », joue un rôle important dans la construction du schéma corporel, la maîtrise de l’équilibre du corps et le développement des coordinations motrices et sensori-motrices. Mais, elle facilite aussi l’installation des enfants dans la sécurité affective et, par voie de conséquence, la libération du langage oral et des émotions. Il en résulte une augmentation de la fréquence des interactions affiliatives, une diminution de la fréquence des comportements autocentrés, de l’hyperactivité, des conflits et des agressions.

Conclusion

Facteurs incontournables d’une heureuse scolarité.

Pour que les enfants puissent libérer leurs processus cognitifs et mobiliser leurs ressources intellectuelles, tout en s’appropriant des savoirs nouveaux et de nouvelles connaissances, il faut au préalable qu’ils éprouvent une suffisante sécurité affective. C’est la condition pour que le langage oral et les émotions puissent être pleinement libérés, et que l’enfant manifeste visible-ment ses compétences-socles.

L’école devrait être conçue pour que ces « imbrications fonctionnelles » soient possibles. Elle doit impérativement s’organiser pour que les enfants puissent entretenir et renforcer une sécurité affective minimale, ou aider à la restaurer si elle a été altérée ou détruite, et créer ainsi une disposition émotionnelle et mentale à apprendre sans peur. Un accueil rassurant et des possibilités d’attachement sécure avec au moins une personne sont des leviers majeurs pour qu’un tel enfant puisse s’imprégner d’une sécurité affective qu’il ne trouve pas dans le milieu familial, développer une confiance minimale en soi et dans autrui, et nourrir son estime de soi.

En outre, il est indispensable que l’école propose aux enfants dans toute leur diversité, des activités qui leur permettent de libérer leur capacité à s’exprimer par le langage oral, en lien avec la libération de leurs émotions et en respectant leurs rythmes bio-psychologiques. La narration, les activités ludiques et symboliques, la conquête de l’espace dans toutes ses dimensions etc., s’avèrent particulièrement favorables au développement de leurs compétences-socles, du langage oral avec toutes ses composantes et de leurs systèmes de communication.

C’est alors que les enfants peuvent pleinement parler, ressentir, penser, entendre et comprendre… et entrer avec confiance et une curiosité avivée dans les apprentissages.

Bibliographie

2006, L’arbre enfant. Une nouvelle approche du développement de l’enfant, Paris, Odile Jacob.

2002, L’enfant et l’animal. Les émotions qui libèrent l’intelligence, Paris, Ed. Odile Jacob.

2002, L’enfant : la vraie question de l’École (direction H. Montagner), Paris, Ed. Odile Jacob.

1988, L’attachement, les débuts de la tendresse, Paris, Éditions Odile Jacob.

SOURCE du texte : Idées-Forces pour le XXIème Siècle, Éditions Chronique Sociale, 2009.


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