Claire Héber-Suffrin , mis en ligne le 12 juin 2011.
Le premier Réseau d’échanges réciproque de savoirs est né en 1971, à Orly (banlieue parisienne). Au démarrage du réseau, une quarantaine de personnes rassemblés autour du projet par Claire et Marc Héber-Suffrin : élèves, anciens élèves, parents, enseignants, bibliothécaires municipales, membres d’associations, travailleurs sociaux, voisins, amis, commerçants. En 1979, nait le réseau d’Evry dans l’Essonne (banlieue parisienne aussi). C’est à partir de l’exemple de ce réseau que les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs se sont développés en France puis dans d’autres pays : dans des villes, des quartiers, des villages, des établissements scolaires ou dans des activités périscolaires, dans la formation des enseignants et en entreprise.
Chacun sait beaucoup de choses. Chacun est ignorant.
Chacun est invité à demander des savoirs et à en offrir ;
Chacun peut apprendre et enseigner, transmettre, partager ses savoirs (ou apprendre à le faire).
Dans une ville : Jean-Pierre transmet son savoir en conversation allemande à Martine et Yann. Yann enseigne la chimie de niveau 3ème à Mathilde et Raphaël. Martine partage ses compétences en dressage de chiens avec Juliette et Benoît. Benoît enseigne le violon à Frédéric. Frédéric (19 ans) offre l’anglais à douze personnes, enfants, jeunes et adultes, qui l’avaient demandé ou que l’offre a intéressés. Parmi elles, Brana (35 ans) offre la natation, à trois personnes dont Dominique (73 ans). Celui-ci offre le banjo à Marie-Ange (20 ans) et Hélène (40 ans). Marie-Ange offre les ateliers d’écriture à dix personnes qui elles-mêmes font des offres. Hélène offre l’informatique à cinq personnes dont Céline. Céline offre l’espagnol à six personnes dont Marie-Thérèse. Celle-ci apprend à lire à Boubaka (19 ans). Celui-ci offre la fabrication d’instruments de musique africains à partir d’objets de récupération à des enfants dont l’un offre les mathématiques à un enfant de son âge, etc.
Dans un établissement scolaire :
Ugo, Grégoire, Julie, Hacen et Christophe apprennent le Russe avec Mathieu qui, lui-même, reçoit de l’informatique de Ludovic et Selma. Cette dernière s’initie, avec sept autres élèves de sa classe, au Basket avec Marie, Hafida et Sandrine qui demandent, les deux premières, une aide en Mathématique à Thomas et, la seconde, une initiation aux échecs à Julien et Isabelle, etc.
Il s’agit d’abord des savoirs
Nous considérons que tous les savoirs sont de droit pour tous. Que la diversité des savoirs est une richesse et une chance. « Comment rendre les savoirs accessibles ? » est une vraie question. L’une des réponses possibles est celle qui est proposée par le réseau : que des offreurs et demandeurs savoirs en cuisine, en philosophie des sciences, en mécanique et en aquarelle ou en musique classique se rencontrent et deviennent proches.
Nous refusons, dans le réseau, de hiérarchiser les savoirs. Pourquoi ? Parce qu’ils résultent d’histoires personnelles, de cultures différentes, parcours d’apprentissages différents. Mais encore parce tous les savoirs peuvent être des étapes vers d’autres savoirs. Mais aussi parce qu’ils permettent de créer de vraies rencontres, de belles relations. On pourrait dire également qu’un apprentissage réussi peut être une étape importante vers d’autres apprentissages, vers davantage de confiance et soi, et peuvent faire naître de nouveaux désirs de savoir.
Nous considérons que les savoirs valent par leurs fruits. Produisent-ils de la volonté d’apprendre, de la fierté, de la rencontre ou des humiliations ou de l’exclusion ?
Enfin, nous considérons que les savoirs sont des processus définitivement inachevés. Il On ne sait pas une fois pour toutes. Si les savoirs sont des savoirs vivants, ils circulent et ils se transforment. Et ils transforment les personnes qui, à leur tour, les transforment. Chaque savoir est lui-même complexe. Il est tissé d’une multitude de savoirs et il est relié à d’autres savoirs.
Considérer les savoirs comme des richesses semble évident. Mais les manques ? Les ignorances ? Prendre conscience de ses ignorances est une chance. Pourquoi ? Parce que cela permet de se dire, non pas « je suis nul » mais je ne sais pas encore. Et donc d’essayer d’apprendre. Mais aussi, parce que cela permet de dire à un autre que l’on a besoin de lui pour apprendre.
On peut ici parler de savoirs émancipateurs occasions de construire des liens positifs entre des humains.
Une réciprocité des dons
Donner et recevoir sont, ici, considérés comme un droit pour chacun. Chacun a le droit de vivre le bonheur de donner des savoirs à d’autres, de recevoir des savoirs des autres. Il nous semble essentiel que chaque personne se sache attendu pour ce qu’elle peut apporter dans sa société. C’est un antidote à la seule assistance.
Une réciprocité égalitaire
La formation réciproque se fonde sur un principe d’égalité : chacun est à la fois celui qui sait et celui qui ne sait pas ; celui qui offre et celui qui reçoit.
Pourquoi ce principe d’égalité est-il essentiel ?
D’abord pour des raisons politique. En démocratie, un humain égale une voix (vote). Mais, dans nos sociétés, certains sont sans voix. Et nous abîmons notre démocratie en la privant de leurs richesses et de leurs potentiels en savoirs, questions, points de vue, expériences. Les réseaux d’échanges réciproques de savoirs sont une manière de leur dire qu’ils sont importants. ?
Mais aussi pour des raisons pédagogiques. « Je n’entends ce que me dit l’autre que s’il me parle comme à un égal » dit le philosophe Emmanuel Lévinas. Or, le savoir est une parole sur la réalité. Si celui qui m’enseigne en sait évidemment plus que moi sur ce qu’il m’enseigne, pour que j’apprenne avec lui, il est essentiel qu’il me considère comme égal en humanité et qu’il me croît capacité d’apprendre. Si cette égalité est postulée, ce qu’il m’enseignera, je pourrai me le redire, le reconstruire en moi, le relier et le confronter à mes savoirs et à mes questions.
Une réciprocité pédagogique
Que fait l’offreur quand il désire instruire autrui ? Il apprend lui aussi à plusieurs moments.
Lorsqu’il pense à son parcours de son apprentissage, lorsqu’il explore son propre savoir. Il prend conscience de conscience de ce qu’il sait, il réactive des choses oubliées, il pense à de nouveaux liens qu’il ne faisait pas jusqu’alors, il découvre peut-être ses propres. Il révise donc. Il rationalise ses savoirs.
Lorsque, en présence des demandeurs, il reformule ses savoirs, il explique, il raconte, il accompagne l’apprentissage. De nouveau, il révise, il réactive il rationalise ce qu’il savait et l’enrichit.
Lorsqu’enfin il répond aux questions de l’apprenant. Ces questions peuvent être évidentes pour lui. Mais elles peuvent aussi le surprendre. Lui faire découvrir de nouveaux savoirs mais aussi ses propres ignorances. Cette découverte peut le motiver lui-même à apprendre pour enrichir ses savoirs et pour répondre aux questions de l’apprenant.
Que se passe-t-il pour le demandeur ? Un apprentissage est toujours une réponse à une question ! Pour apprendre, il faut donc se poser des questions. Apprendre, c’est tenter de répondre à ses questions. C’est l’un des problèmes de l’école : on donne aux élèves des réponses à des questions qu’ils ne se sont pas posées ! Le demandeur de savoirs se constitue intérieurement comme chercheur de savoir : il entreprend d’apprendre. Il s’oblige à chercher ce qu’il sait déjà de l’objet de son apprentissage. Et il pose des questions à l’offreur.
Une réciprocité dans les rôles
De quels rôles parlons-nous ? Celui d’enseigner et celui d’apprendre. Vivre ces deux rôles permet de mieux apprendre chacun d’eux. Lorsque j’enseigne, je peux réfléchir à mes façons d’apprendre et les faire évoluer. Etre aussi apprenante, élève… m’aide à réfléchir aux façons d’enseigner. Si évidemment je joue les deux rôles et si je les fais entrer en dialogue dans ma réflexion.
Une réciprocité coopérative
Une des dimensions intéressantes de ces réseaux et que tous sont invités à les construire, à les ouvrir, à les animer. Que ce sont les offreurs et demandeurs qui construisent ensemble leurs façons d’apprendre. C’est-à -dire que tous peuvent contribuer à construire le système qui les forme.
Une conscience de réciprocité
Enfin, la réciprocité n’existe vraiment que si chacun a conscience qu’il est dans une relation de réciprocité. Si l’un des partenaires de l’échange ne se sent pas à égalité avec l’autre, la réciprocité n’est pas complètement réalisée.
Ou plutôt, les échanges créent un système à géométrie variable : une personne enseigne à une autre ; une autre, à trois demandeurs ; une autre encore, à un groupe de douze ; deux offreurs accompagnent un demandeur dans son apprentissage de la lecture, etc. Ce sont bien les offres et demandes et les réponses qui leur sont apportées qui créent un réseau ouvert. On pourrait parler d’une matrice sociale d’éducation tout au long de la vie. Le réseau est une offre de savoirs multiples qui permet des parcours individualisés d’apprentissages extrêmement divers et ouverts.
Depuis leur création, ces Réseaux ont concerné des centaines de milliers de personnes de tous âges. Un réseau peut concerner 50 personnes, 400… ou plus.
Si vous souhaitez créer un tel Réseau, une association FORESCO : Formations réciproques, échanges de savoirs et créations collectives peut vous apporter des réponses :
Comment nous contacter : foresco@orange.fr
Des sites qui peuvent vous donner quelques indications :
Evry : rers-evry.fr
Nantes : http://echangesavoirsnantes.over-bl...
Gradignan : www.rersgradignan.com/
Mulhouse : http://rers-mulhouse.blogspot.com/
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