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L’impensable suicide des enfants

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mis en ligne le 2 février 2011.

Martine Laronche, ( lemonde.fr du 30/01/2011)

«  40 % des enfants pensent à la mort à l’école, tellement ils sont anxieux et malheureux  ». Boris Cyrulnik

Selon une enquête menée par l’Inserm, 2 % des 11-12 ans déclaraient, en 2003, avoir tenté de mettre fin à leurs jours

Il y a des drames inconcevables. Le suicide d’un enfant en fait partie. Comment expliquer qu’une fillette de 9 ans, diabétique, puisse avoir décidé de mettre fin à ses jours en se jetant du cinquième étage d’un immeuble, le 17 janvier ? Que dire de la mort par strangulation, le 26 janvier, dans le Jura, de ce garçon de 11 ans décrit par le parquet de Lons-le-Saunier (Jura) comme souffrant d’une « très grande solitude » ? Qu’est-ce qui a poussé, le lendemain, cette adolescente de 14 ans à se jeter du 4e étage de son collège de Vaujours, en Seine-Saint-Denis ?

Après ces trois drames, la secrétaire d’Etat à la jeunesse, Jeannette Bougrab, a confié une mission à Boris Cyrulnik. « 40 % des enfants pensent à la mort à l’école, tellement ils sont anxieux et malheureux », a déclaré le neuropsychiatre.

« Un tel acte est impensable de la part des enfants. Nous voudrions les voir comme des êtres innocents, non concernés par ce qui est sexuel, et comme des êtres immortels, qui garantissent, en quelque sorte, nos voeux d’immortalité », commente Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

Le suicide d’enfants est une manifestation rare, voire exceptionnelle. Selon les derniers chiffres de l’Institut de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui remontent à l’année 2006, 522 jeunes de 15 à 24 ans s’étaient suicidés, et 30 de moins de 15 ans. Pour Marie Choquet, épidémiologiste, ces statistiques sont probablement sous-évaluées : « Très longtemps, le suicide n’était pas censé exister chez les enfants. Et il est parfois difficile de faire la part des choses entre un suicide et un accident. Une défenestration peut passer pour accidentelle mais, à 11-12 ans, on ne tombe plus par la fenêtre. »

Selon une enquête Inserm de 2003 menée par la chercheuse auprès de 2 000 enfants de 6e (11-12 ans), 2 % d’entre eux déclaraient avoir fait une tentative de suicide et 6 % avoir déjà eu des idées suicidaires. « On connaît bien maintenant les préoccupations des adolescents, mais trop peu celles des enfants. Il y a là un grand champ de recherches à explorer », poursuit Marie Choquet.

Christian Flavigny est l’un des quelques psychiatres à avoir étudié les gestes suicidaires chez l’enfant. Dès 1982, il publie une étude portant sur 13 cas d’enfants âgés de 4 à 12 ans. « Les gestes suicidaires sont, en apparence, déclenchés par de petits faits anodins de la vie quotidienne, précise-t-il. Une mauvaise note, une remontrance familiale peuvent déstabiliser l’enfant. » Que se passe-t-il alors dans sa tête ? « Cela le renvoie à un grand désespoir. L’enfant a l’impression qu’il ne pourra jamais être aimé comme il l’attendait. » La tentative de suicide, qualifiée de passage à l’acte, vise à mettre fin à une situation intolérable qui envahit l’enfant et apparaît aussi comme le voeu de rebattre les cartes.

Le suicide d’un enfant se différencie du suicide d’un adolescent. « L’adolescent est pris dans une problématique d’autonomie. Il se demande s’il est à la hauteur de ce qu’on lui demande, poursuit le pédopsychiatre. L’enfant traduit un problème qui concerne son identité même. Il interroge l’autre : est-ce que je suis satisfaisant ? »

Les tentatives de suicide chez un enfant de moins de 13 ans ont également fait l’objet d’une enquête du service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Nord- CHU de Saint-Etienne. Les auteurs ont étudié, entre 2004 et 2005, 97 cas d’enfant âgés de 6 à 12 ans (âge moyen : 11 ans). L’étude signale que « la tentative de suicide est rarement le premier signe d’une souffrance chez l’enfant. La plupart du temps, la conduite suicidaire n’est pas rattachée à une pathologie psychiatrique. Les conduites suicidaires chez l’enfant viennent signifier un vécu existentiel dépressif, sur fond de grande fragilité narcissique (...). L’environnement sociofamilial de l’enfant est remarquable par son caractère peu sécurisant et peu contenant ».

L’acquisition de la notion de mort est un phénomène progressif. Pour un enfant de moins de 5 ans, la mort est une absence temporaire, réversible. « Vers 6, 7 ou 8 ans, l’enfant prend conscience de son caractère irréversible, ce qui peut s’accompagner d’angoisse de disparition de ses parents, voire de lui-même », explique Gérard Schmit, professeur de pédopsychiatrie à la faculté de médecine de Reims. A cet âge, il peut utiliser l’idée de mort dans ses interactions verbales avec autrui, pour faire pression sur ses parents. On est loin du passage à l’acte. « Celui-ci survient dans une situation conflictuelle - parfois anodine pour les parents -, qui n’a pas réussi à se verbaliser », poursuit le professeur.

Peut-on repérer le risque suicidaire chez l’enfant ? « C’est très difficile, poursuit le pédopsychiatre. Ce ne sont pas forcément des enfants qui font une dépression manifeste. Et il est très difficile pour les parents d’admettre qu’un enfant peut vivre dans la souffrance psychique. Le mieux consiste à être attentif aux moments de souffrance et de désarroi de leur enfant. Le fait de s’adresser à lui, de reconnaître sa tristesse, peut suffire. » Certains accidents domestiques et comportements de mise en danger de la part d’un enfant pourraient comporter une dimension suicidaire, estime-t-il.

A partir de 11-12 ans, les frontières entre enfance et adolescence tendent à s’estomper. Et les préadolescents copient leurs aînés. « Les tentatives de suicide chez les jeunes entre 11 et 15 ans sont en augmentation ces dernières années », fait remarquer Xavier Pommereau, psychiatre, responsable du pôle aquitain de l’adolescence au CHU de Bordeaux. A l’ouverture de son service pour jeunes suicidaires en 1992, la moyenne d’âge était de 17- 18 ans. Aujourd’hui, elle est de 15 ans.

Comment s’explique la survenue chez les préadolescents de gestes suicidaires ? « La nébuleuse ado est une espèce de planète qui démarre de plus en plus tôt et s’attarde de plus en plus tard », considère le psychiatre. Les plus jeunes copient leurs aînés dans leur look, encouragés par le marketing des marques. Il n’est pas rare de voir des enfants de 10 ans tenir des blogs, avoir leur page Facebook. Les comportements et la consommation des plus jeunes tendent à s’aligner sur celles des adolescents, y compris pour les troubles de conduite : ivresse, scarification...

Pour le psychiatre, on ne peut être suicidaire sans avoir des troubles de l’identité. Des violences sexuelles subies durant l’enfance, la découverte de son homosexualité quand elle n’est pas acceptée, les non-dits et les secrets de filiation sont autant de blessures identitaires qui peuvent entraîner un passage à l’acte.

Source : Martine Laronche, ( lemonde.fr du 30/01/2011)


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