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Morale laïque et éducation psycho-sociale

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Marie-Françoise Bonicel, mis en ligne le 4 décembre 2012.

Un mariage d’amour et de raison ?

Attendre d’en savoir assez pour agir en toute lumière, c’est se condamner à l’inaction (Jean ROSTAND).

Antoine Prost, historien de l’Éducation affirmait dans son Ã‰loge des pédagogues : « On ne peut inculquer dans et par l’école, d’autres valeurs que celles de la société elle-même, et il est vain d’espérer faire le contrepoids par l’école, aux tendances d’une société. Entreprendre de restaurer dans l’école des valeurs dont on se gausse au dehors n’est pas rétablir un équilibre ; c’est exaspérer une contradiction. »

Prendre les propos d’Antoine Prost à la lettre nous conduirait à clore le chapitre. Car si « l’école est bien fille et mère de la société », comme l’écrit Armen Tarpinian, rien ne l’oblige à amplifier ou valider cette contradiction, Elle peut, dans une compréhension systémique, mieux reconnaître et cultiver les interactions positives qu’elle peut susciter.

Si l’on admet avec l’historienne Mona Ozouf et le philosophe Edgar Morin que la laïcité est d’abord « une culture de la question et de la confrontation et non pas une culture de la réponse », cela constitue une manière de la mettre en fond d’écran au service de l’enseignement et de l’éducation à la « Morale laïque », en s’appuyant sur ces tensions fécondes entre dehors et dedans. Exercice de funambule, certes, car les valeurs contradictoires existent à l’intérieur même de l’Ėcole. Ceci est valable pour toutes les disciplines. Mais ici, je ne souhaite pas me centrer sur la « Morale laïque notée », nouvelle discipline parmi d’autres. J’ai donné mon sentiment sur cette initiative et pointé ses richesses et ses limites. (Voir http://www.pedagopsy.eu/morale_boni...)

Une Morale laïque vécue

.Je suis convaincue de l’intérêt pour tous d’acquérir des connaissances historiques et culturelles sur les fondements des religions et des philosophies humanistes qui constituent les soubassements de notre vie collective et démocratique. Mais j’élargis mes propos ici à la question d’une « Morale laïque vécue » à l’École et susceptible de rejaillir dans les autres espaces de la vie civile. Pour que cette morale partagée soit autre chose qu’un vÅ“u pieux gravé sur la pierre tombale d’une bientôt défunte réforme. (Antoine Prost, au moment de la création des IUFM expérimentaux, en 1990, nous avait réjoui par une visite, sous forme d’une énumération psalmodiée, du cimetière des innovations défuntes dans l’Éducation Nationale. Édifiant !).

Cela exige, d’évidence, que le projet de refondation, « travaillé » durant la Concertation, repose sur des étayages, des murs porteurs, des poutres maîtresses qui dépassent largement la question initiale de la Morale, et l’éducation et la formation psycho-sociale constituent le ciment à prise lente pour cette construction jamais achevée.

« Il y a peut-être des secrets pour changer la vie ? Non, il ne fait qu’en chercher, me répliquais-je  » (Arthur Rimbaud, Une saison en enfer.) Alors, cherchons... et trouvons ! Si Morale laïque il doit y avoir dans la refondation de l’École engagée par le Ministre, envisagée actuellement comme un enseignement des fondements et des modalités du vivre-ensemble, pour reprendre la formule fétiche qui fait consensus dans l’arc-en-ciel politique, et sans entrer ici dans un débat sur sa légitimité, il me parait incontournable, pour qu’elle s’incarne dans la vie des élèves et de leurs éducateurs, de la relier à des compétences psychosociales. Compétences qu’il faudra développer chez les enseignants en formation dans les ESPE et chez leurs formateurs, chez tous les personnels éducatifs, et compétences qu’il faudra mettre en Å“uvre chez les enfants.

Cela ne va pas de soi, car les registres de la Morale et de la Psychologie, supposés être d’ordre différent, se rejoignent dans la proposition complexe d’Éducation-psycho-sociale, Ce concept civilisateur, défini et développé par le Collectif École changer de cap, prend certes en compte le contexte social et économique, mais tout autant les dimensions institutionnelles, les contenus des savoirs, mais aussi la dimension psychique des individus et des groupes.

Sans cette dimension psychique, on se heurtera aux résistances groupales et individuelles, à l’ignorance des mécanismes psychologiques qui régissent les élèves et les adultes dans les processus de formation comme dans les apprentissages scolaires, ignorance aussi de ce qui nourrit la motivation. On peut se référer notamment aux travaux et aux 20 ans de pratiques de formation dans l’Éducation Nationale du Pr Jacques Nimier, auxquels j’ai été associée, et qui vont dans ce sens, à ceux de la Psychologie de la Motivation et aux perspectives données par le réseau « Transformation personnelle/Transformation Sociale » ( TP/TS).

Des temps de formation

Dans un Entretien, le Ministre Vincent Peillon l’ébauche en évoquant la perspective qu’il souhaite : « C’est plus large, cela comporte une construction du citoyen avec certes une connaissance des règles de la société, de droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l’on se pose sur le sens de l’existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne." L’avenir de l’École a besoin de nous. C’est un appel à « L’Éspérance engagée », selon l’expression mobilisatrice de Jean-Claude Guillebaud)

Les plus timorés s’agripperont au champ de la Morale laïque, pour la réduire peut-être au plus petit dénominateur commun pour survivre ensemble. Les plus créatifs s’empareront de cette suggestion ministérielle pour amplifier leurs regards et leurs initiatives, et pour vivre en société par « une éthique de la compréhension » (Edgar Morin).

Pour résister « au jaillissement de la barbarie en soi » selon cette autre image du même auteur, pour agir sur celle qui envahit nos cours de récréation et atténuer celle de nos paysages mondiaux, pour restaurer de l’humanité dans nos espaces de vie, il nous faut agir sur tous les plans, et notamment à l’École sur tous les registres.

 Il faudrait pour le bateau-École une révolution équivalente à celle des multicoques dans l’univers de la voile. Un changement de regard, de concepts, une dynamique nouvelle pour faire de l’univers scolaire une école de vie. Jacques Salomé. (Le Peuple de l’École, SITE Pédagopsy)

- Des temps de formation en amont et en aval de la formation des enseignants, des temps d’analyses de pratiques, des temps de « développement personnel professionnel » pour eux et pour tous les personnels des établissements scolaires permettront d’expérimenter et de conforter les réflexions.

- Des temps de formation des élèves à la communication relationnelle, à la pratique d’une confrontation non violente, à la responsabilisation, à la coopération. Nous avons dans notre "Collectif École changer de cap" des expériences sur de longues années, analysées, validées, avec des publications, en France et à l’Etranger. Cela existe, cela se fait déjà à certains endroits, sans plus-de-moyens, mais avec plus de créativité, de volonté, de motivation de tous les acteurs. Pourquoi l’École serait-elle inaccessible aux dimensions psychologiques et psychosociologiques qui régissent toute communauté humaine ? Elle qui est au cÅ“ur de l’humain en devenir.

Je suggère quelques initiatives qui ont fait leurs preuves (je renvoie ici à mon article sur le Harcèlement à l’École) mais qui ne soient pas réservées seulement à la lutte contre la violence, le harcèlement, ou à la prévention du suicide des jeunes, mais irrigueront toutes les relations entre les acteurs de l’École. .

Je propose tout d’abord que nous décrochions notre trilogie gravée sur le fronton de nos mairies - écoles pour la faire vivre dans nos classes et dans l’ensemble de l’école, et que nous en expérimentions les enjeux, les limites, les contradictions, les résonances personnelles dans le cadre d’ateliers interactifs spécifiques.

Mais les cours, les intercours, les cours de récréation, les projets transversaux, les travaux de groupe, les conseils de classe, les heures de vie scolaires, les sorties organisées sont tous des lieux et des temps propices à vivre les repères dits « moraux », comme l’aspiration égalitaire, la fraternité déclinée en solidarité, la coopération, le respect, la liberté encadrée et confrontée au droit, aux règles de vie et donc à l’autorité. Cela peut se réaliser notamment par l’observation des « erreurs » (à ne pas assimiler à des fautes), et des dysfonctionnements. Il est possible de :

- Développer notre capacité comme enseignant ou éducateur de vivre et faire vivre la confrontation sans violence, de ne pas confondre les idées ou les actes et la personne : nous disposons de concepts et d’outils, qui ne sont pas forcément à déployer « en plus », mais « durant ».

- Favoriser une éthique de la responsabilité, notamment par l’exemple, et comme le préconise le psychosociologue Jacques Salomé, en sortant du boulevard de la plainte (la hiérarchie, les circulaires, les familles qui baissent les bras et la société en déliquescence)

- Permettre aux jeunes de se constituer une identité, de percevoir qu’elle se construit à partir d’identités multiples, parfois antagonistes.

La prestigieuse Mireille Delmas-Marty, membre du Collège de France qui vient de prendre la présidence de l’Observatoire des religions "Pharos", déclare dans une interview : «  Mes travaux ont tourné autour de la question : comment conserver l’identité de chacun alors que le droit s’internationalise ? Réponse : par un pluralisme « ordonné », c’est-à-dire un pluralisme qui ne sépare pas, mais tend vers une harmonie commune, sans pour autant supprimer les différences.  » Ce qui est valable sur le plan international, l’est aussi dans nos classes.

L"historienne de l’Éducation Mona Ozouf, nous en trace le chemin : « Chacun doit composer son identité en empruntant à des fidélités différentes […] la multiplicité s’inscrit en faux contre l’enfermement et la sécession identitaire […] Nous découvrons et respectons l’autre dans sa particularité sans que celle-ci remette en cause le partage d’un espace commun. »

Quand Morale et Éducation psycho-sociale se conjuguent ainsi, cela fait dire à Edgar Morin : « le Bien, c’est le Lien ». Ce qui dépend aussi de chacun. Gandhi disait : « Soyez-vous même le changement que vous voudriez voir dans le monde  ».

Repères :

On notera particulièrement dans le florilège des textes et ouvrages qui sous différents angles travaillent cette question :

- le dossier très large « Morale laïque », mais aussi celui sur « Enseignement et formation psychologique » du site de Jacques Nimier : www.pedagopsy.eu/

- les articles très approfondis et convaincants deMaridjo Granersur l’Éducation psycho-sociale et de Bruno Mattei celui sur les valeurs républicaines sur le site www.ecolechangerdecap.net/

- les nombreux livres, articles et DVD autour de la communication relationnelle et la Méthode ESPERE® par le psychosociologue Jacques Salomé www.institut-espere.com/ et www.j-salome.com

On se laissera dépayser par trois ouvrages « décalés » mais qui donnent du sens à ce foisonnement :

Guillebaud (JC) Une autre vie est possible. L’iconoclaste, 2012 ;

Ozouf(M) Composition française. Folio, 2009 ;

Martini (E) Notre école a-t-elle un cÅ“ur ? Bayard, 2011

 


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